Deux ans de lectures (I) avec Michel de Saint-Pierre, Kleber Haedens, P.G. Wodehouse, Lucien Descaves, Paul Guimard, Lamarche-Vadel...
Cher JCG, après avoir évoqué la rédaction de vos souvenirs et deux de vos principales occupations lavalloises (piscine, courses chez Leclerc) l'heure est venue de dire deux mots des lectures qui furent les vôtres ces deux dernières années. Avouez que je ne demande pas un exercice trop difficile à l'ancien libraire que vous fûtes entre 2017 et 2022...
Le plus difficile, en fait, sera de les recenser car il y en a eu beaucoup ! Vous pensez, deux ans de lecture ! Mais bon, je relève ce défi avec l'espoir qu'il puisse donner à certains de nos lecteurs l'envie de découvrir tel ou tel livre qui les enchanteront et leur permettront de goûter comme elle le mérite cette citation que j'aime beaucoup : « Tous ces bouquins ? répéta l'imprimeur d'une voix rêveuse. Tu ne trouveras rien de mieux sur terre, ni ailleurs. Un livre n'est pas comme un homme : il ne peut jamais se renier. »
Elle est superbe, qui l'a signée ?
Michel de Saint-Pierre, un romancier français dont je connais le nom depuis ma prime jeunesse et dont certains romans séjournent dans ma bibliothèque depuis des lustres sans que j'aie jamais trouvé le temps de les lire. Le temps et, pour être honnête, l'envie, car quand cette dernière se manifeste on trouve toujours le premier pour la satisfaire…
Et l'envie vous est venue…
Oui, et j'en ai lu cinq quasiment l'un après l'autre, séduit par ces romans qu'on peut qualifier de « datés ». Datés et étiquetés « catho tradi ». Ainsi ne les conseillerai-je point à certains amis, qui préfèrent le français au latin et se moquent comme d'une guigne de l'évolution de l'Eglise depuis le Concile Vatican II (1962-1965). En revanche, je sais qu'ils pourraient intéresser les paroissiens que je croise tous les dimanches dans l'église des Cordeliers qui, tous, perçoivent avec plus ou moins d'acuité la terrible crise que l'Eglise connaît depuis les années soixante, l'Eglise et la société française. Eh oui, quand la première va mal la seconde ne peut aller bien ! l
En clair, il est préférable d'en pincer pour le catholicisme traditionnel pour comprendre les inquiétudes de Michel de Saint-Pierre, et goûter toute la richesse de ses romans (je parle de ceux que j'ai lus). Des vieux romans, si j'ose dire, tous âgés de plus de 60 ans puisqu'ils furent écrits entre 1957 (Les Ecrivains) et 1970 (Le Milliardaire) : en 1959 pour Les Murmures de Satan, en 1960 pour Les Nouveaux aristocrates, et en 1964 pour Les Nouveaux prêtres…
Parlez-nous de l'un d'eux, s'il vous plaît…
Les Nouveaux aristocrates mettent en scène un jeune prêtre qui, du jour au lendemain, doit enseigner la philosophie dans une « boîte de Jèzes » à des élèves de terminale qui, avouons-le mais vous l'avez déjà deviné, n'ont plus grand-chose à voir avec ceux d'aujourd'hui, ni même avec ceux de ma génération - j'étais en terminale lors de l'année scolaire 1980-1981, laquelle offrit un orgasme collectif au corps enseignant le 10 mai 1981 avec l'élection du Mitteux…
Le nouveau prof, le Père de Maubrun, est docteur en philosophie mais n'a aucune expérience en matière d'enseignement. Autre souci (pour lui), il doit remplacer au pied levé un professeur très apprécié - adulé même, par certains - qui vient de mourir, Monsieur Sauvageot.
Comme le Père de Maubrun possède le don de l'éloquence et qu'il est plutôt bien de sa personne, d'aucuns pourraient penser que ce remplacement sera du gâteau… « Mais autre chose était de parler du haut de la chaire de vérité, sous des voûtes imprégnées de prières et dans la proximité exaltante du Saint Sacrement - autre chose de tenir en haleine, pendant des mois, un dangereux auditoire de dix-sept garçons qui étaient à l'âge de l'ironie. » A commencer par Denis Prullé-Rousseau, une forte tête qui joue le rôle d'opposant n°1 au Père de Maubrun.
Est-ce à dire que le niveau des cours a baissé avec Maubrun ?
Nenni ! Car il tient des propos de cette qualité :
« Nous voyons naître sous nos yeux une psychologie de type marxiste, à la fois orgueilleuse et sommaire, qui prétend se référer uniquement aux sciences exactes et se laisser dominer par les tests, une psychologie du type expérimental et empirique, une psychologie de robots, qui peu à peu cesse d'être un prolongement de la culture - en même temps que disparaît le merveilleux effort de tension vers la psyché, vers l'âme. Nous parlions de volonté malfaisante. Voici vraiment l'une des formes d'un complot qui prépare la grande invasion : celle de l'Occident, par un matérialisme scientifique plein de vitamines, d'insolence et de santé… »
Pas mal vu, non ?
Peu de prof de philo parlent ainsi sous Barnier…
Je le pense aussi mais ne peux mener une enquête digne de ce nom : je n'ai plus d'enfant en terminale depuis plusieurs années…
Ce que je peux affirmer en revanche c'est que dans n'importe quel roman de Michel de Saint-Pierre, la solution à tous les problèmes est toujours de se tourner vers la Croix : « Que trouvons-nous en face du matérialisme dont il s'agit, en face d'une pareille menace d'invasion chez nous ? Le christianisme et lui seul - qui, d'ailleurs est d'une autre essence… »
Un élève se rebiffe, incroyant et fan du laïc Sauvageot, le Denis précité. Il n'aime pas qu'un prof de philo porte une soutane. Il exprime son rejet du nouveau professeur par des provocations que le prêtre réussira plus ou moins à éradiquer… Un jour, Prullé-Rousseau se met à lire ostensiblement un cahier pendant le cours de Maubrun, un cahier garni des meilleures pensées de Sauvageot, que « Denis avait notées d'une écriture si appliquée, si claire qu'elle était en soi un hommage » :
- Le monde est à ceux qui se donnent la peine de le changer.
- Il manquera toujours quelque chose d'essentiel à qui n'a jamais risqué volontairement sa vie.
- Rien ni personne ne remplacera l'ivresse de toucher du doigt la mort à vingt ans.
- Je vous veux indignés. L'indignation est un mépris qui a du sang.
Et une dernière pour la route :
- Mais je veux surtout qu'un élève de philosophie, en quittant la classe au bout d'un an, soit essentiellement capable d'exprimer une admiration.
Le père de Maubrun avait confisqué le cahier et lu ce qu'il contenait : « Quand je pense qu'ils commencent à noter aussi ce que je dis ! songea-t-il. Ces graines jetées, dont nul ne sait comment ni quand elles germeront ! L'éducation est un métier de hasard. »
Je m'arrêterai sur cette assertion de Maubrun qui mérite d'être méditée.
En précisant que le Saint-Pierre qui m'a le plus intéressé, et que j'ai d'ailleurs cité dans le tome 3 de mes souvenirs, c'est celui paru en 1964, Les Nouveaux prêtres…
Parlez nous d'autres romans que vous avez lus depuis votre départ de la Librairie française ?
L'été finit sous les tilleuls de Kléber Haedens (1913-1976), qui reçut le prix Interallié l'année de sa sortie, 1966.
Ce petit roman (par le nombre de pages: 160 dans le Livre de poche) met en scène une « moderne » Madame Bovary prénommée Florence (« A la voir cette femme semblait de feu. Elle était plus froide au toucher. »).
On lit ses aventures et son ennui avec beaucoup de plaisir grâce à la finesse d'analyse et au style enlevé de cet auteur qui était particulièrement apprécié par les « Hussards ».
La très belle et très désirable Florence Frazé a épousé le beau Jean Sartoux en espérant que cet instituteur lui ouvre rapidement les portes de la capitale, via l'ouvrage qu'il compose chaque soir, dans son bureau, et dont il a déjà trouvé le titre : Qui a fait boire le Grand Ferré ?
(« Il fabriquait un gros bréviaire où les images et les textes les plus fameux de l'école communale touchant l'histoire, la géographie, les sciences, la littérature seraient réunis pour offrir la mythologie complète des villages depuis les Gaulois jusqu'aux voyages dans la lune »).
Comment peut-elle espérer que son jules connaisse la gloire littéraire qui transformerait sa vie à elle ?
Parce que l'un des cousins de Sartoux, « qui dirigeait une collection de romans d'aventures dans une grande maison d'édition de Paris, avait promis de le faire publier ». Cela suffisait à Florence, qui n'était pas en course pour remporter le prix Nobel du bons sens et de l'intelligence...
En attendant cette vie qu'elle imagine extraordinaire, elle s'ennuie ferme dans le village de son instituteur de mari, un trou paumé nommé Fontereau, situé en Charente-Maritime.
« Qui Madame Sartoux pouvait-elle fréquenter à Fontereau ? Aucune femme. Il n'en existait pas de son monde. Les hommes ne valaient guère mieux. On ne pouvait pas lui demander de faire des confidences au facteur ou au boucher. Florence croyait sincèrement que, dans ce qu'elle appelait son milieu, les conversations atteignaient un niveau supérieur.
« Jamais chez [sa mère] Mme Frazé il n'avait été question d'autre chose que des événements minuscules qui touchaient les membres de sa famille. Cette année Colette irait en vacances à Royan. La fille de Marie-Yolande avait fait pipi dans sa culotte alors qu'elle était en visite chez les Engerbold. Allant à bicyclette de Saint-Même à Ebéon, Rolande avait crevé trois fois, ce qui n'était vraiment pas de chance, etc. Madame Frazé se maintenait ainsi depuis qu'elle était capable d'ouvrir la bouche au plus bas degré d'un art où elle se croyait brillante. Dans cette eau, Florence se sentait à l'aise comme une vieille carpe dans son étang. A Fontereau nul ne connaissait ni Colette, ni Marie-Yolande, ni Robert, ni l'avocat de Bergerac, ni le cousin de Paris, ni rien de ce petit monde ordinaire. Florence disait qu'au village personne n'avait de conversation. »
Ce Kleber a un sacré style !
Oh, que oui ! et ce qui me réjouit c'est que j'ai deux autres romans de lui dans ma bibliothèque qui devraient m'emballer, eux aussi : Adios (1974) et Salut au Kentucky (1947) ; je m'en pourlèche les babines à l'avance…
Autre roman…
J'ai lu pour la première fois un roman humoristique de P.G. Wodehouse : Merci, Jeeves.
Le résumer étant impossible, je me contenterai de vous lire la 4e de couverture d'un certain Jean Bourdier qui écrivait dans Minute…
Comme quoi, en 1982, France Loisirs pouvait choisir une critique piochée dans un journal d'esstrème drouate !
Oui, cela serait impossible aujourd'hui. Et pour deux raisons : primo, le politiquement correct n'accepte que les critiques émanant de plumitifs (plus ou moins) gauchiasses ; deuzio, Minute a disparu du paysage journalistique français le 5 février 2020, après 58 ans d'existence...
Lisez-nous sa critique...
« Ce qui demeure à la relecture de Wodehouse, c'est que sa peinture d'un monde largement révolu et d'une société à peu près disparue ne présente pas la moindre ride. Le comique, à la fois des mots et des situations, que l'auteur en tire à chaque page reste irrésistible. »
Qui est ce Wodehouse qui fera rire les esprits fins jusqu'à ce que ces derniers disparaissent de la planète terre ?
L'auteur comblé de « 90 livres, d'un millier d'article, de 19 pièces de théâtre et des chansons de 33 comédies musicales de Jérôme Kern, Cole Porter, Ira Gerschwin… » Il est né en 1881 et décédé l'année du regroupement familial en France et de la sortie des Dents de la mer (1975).
Son personnage de maître d'hôtel, Jeeves, est le héros de divers romans hilarants.
Un autre titre anglais lu ces deux dernières années ?
Un classique : L'île au trésor, ce chef d'œuvre de Robert-Louis Stevenson (1850-1894) que j'avais dévoré gamin.
Vous ne m'avez parlé que de romanciers décédés, avez-vous épuisé le stock ?
Nenni ! J'ai lu également un gros roman de 500 pages qu'on n'oublie pas une fois achevé : Les Emmurés (1894), qui révèle l'existence de ceux qui ne voient pas, les aveugles. Son auteur, un écrivain français naturaliste, eut son heure de gloire sous la IIIe république : Lucien Descaves (1861-1949). Jules Renard - excusez du peu ! - avait vanté ce roman en une phrase : « Ne tombez jamais que sur de pareils livres ».
Le personnage principal est attachant, un certain Savinien. Il gagne sa vie comme la plupart de ses copains : en jouant de l'orgue à l'église et en accordant des pianos ; il a suivi, à l'Institut des Jeunes aveugles, les cours, entre autres, d'un certain Gilquin, un sexagénaire qui professe des idées originales et peu appréciées par nombre d'aveugles.
« Il n'admettait pas que la cécité pût avoir une influence néfaste sur le développement intellectuel des individus ni sur leur condition sociale. Il ne reconnaissait aux clairvoyants aucun des avantages qu'on se plaît à leur accorder sur l'aveugle […] Gilquin, d'ailleurs, généralisant volontiers son aventure personnelle, soutenait que la privation de la vue est un bien, en ce sens qu'elle permet à l'aveugle d'aspirer à des emplois auxquels ne le prédestinait pas, le plus souvent, la médiocrité de son origine.
- Ainsi, moi, fils d'ouvriers, sais-je à quel ingrat labeur d'usine, de fabrique, d'atelier, je serais aujourd'hui condamné, sans cette bénédiction du ciel que vous appelez une infirmité. Oublierais-je que je lui dois mon lot en ce monde : le professorat paisible et la noble fréquentation des orgues à mon église ? »
Il y a des traits d'esprit dans ce roman. Ainsi quand Savinien évoque les avantages du mariage pour un aveugle avec une « clairvoyante », qui deviendra sa femme, icelle s'écrie :
« Tiens il y a toujours pour vous l'économie d'un guide !
- C'est le mot de Diderot : Il se maria pour avoir des yeux qui lui appartinssent. »
Auteur d'une Lettre sur les aveugles, Diderot fut l'un des seuls écrivains à avoir écrit sur la cécité…
Un dernier mot d'esprit concernant cet ouvrage qui, manifestement, ne semble pas vous avoir attristé ?
Oui, de Savinien cette fois. Une boutade que sa mère rapportait souvent à ceux qui la plaignaient d'avoir un fils aveugle : « Un soir que son père dînant dans l'obscurité, demandait la lampe : … c'est tout de même une infirmité que de ne pouvoir s'en passer pour manger, a dit notre garçon. »
Sans ce genre de tirades, la vie serait ennuyeuse, non ?
Bien sûr ! Je continue avec les auteurs qui se trouvent dans un cimetière depuis des lustres…
J'ai enfin lu un roman d'un auteur qui en a écrit des dizaines, un auteur à succès, Pierre Benoît (1886-1962). J'ai beaucoup apprécié une oeuvre publiée l'année de la mort de Barrès (1923) et qui narre les relations pour le moins troubles entre deux femmes, Mademoiselle de La Ferté. J'en garde un si bon souvenir que je n'ai pas hésité à acheter la semaine dernière et pour 4 euros au total (Emmaüs, Laval) deux gros volumes reliés comprenant les titres principaux des romans de Benoît dont le célèbre Koenigsmark qui inaugurera, en 1953, la collection du Livre de poche…
Quatre ans plus tard, cet auteur vendu à des millions d'exemplaires s'entretiendra à la radio avec un certain Paul Guimard (1921-2004)…
Pourquoi évoquer ce détail et cet auteur ?
Parce que j'ai enfin lu Les Choses de la vie (1967) de ce dernier, un excellent roman que Claude Sautet a porté à l'écran en 1970 avec Michel Piccoli et Romy Schneider, Jean Bouise et Léa Massari…
Il s'est toutefois permis d'en changer la fin… Celle du roman est plus terrible…
Racontez-nous l'histoire en deux mots...
Un avocat brillant de 44 ans, Pierre Delhommeau joué par Michel Piccoli, va quitter ce monde suite à un accident de voiture qui se situe non loin de Laval… « Pour ce bon conducteur, sûr de soi et de ses réflexes, un marchand de cochons maladroit fait figure de destin.»
Il nous fait part de ses dernières pensées. Avant, pendant et après l'accident qui le mènera au cimetière. Dernières pensées qui démontrent l'importance - et l'insignifiance - des choses de la vie, « de toutes ces merveilles futiles qui mourront de sa propre mort parce que pour elles seulement il est irremplaçable ».
Il y est beaucoup question de sa liaison avec Hélène (Romy Schneider) et d'une lettre qui lui est destinée...
« Le lendemain, lorsque l'interne de l'hôpital de Laval reçoit la femme, il remarque d'abord la meurtrissure qui cerne les yeux violets. Il se passerait volontiers de cette corvée mais lorsque les opérations ne réussissent pas, le Patron esquive les rendez-vous gênants.
Il a l'habitude des mots à dire et de l'attitude à prendre ; pourtant il se sent moins assuré que de coutume en face de cette femme qui ne pleure pas. La beauté donne au malheur une dimension déconcertante. Il bredouille un peu :
- … nous avons fait tout ce qui…humainement possible…complications inévitables…le cœur…très grande perte..drame navrant trop fréquent, hélas, aujourd'hui…naturellement je suis à votre disposition pour…
Puis il saisit une branche plus solide :
- En tout cas, madame, je puis vous assurer qu'il n'a pas souffert. Il est médicalement mort sur le coup. Il n'a pas eu le temps de se rendre compte.
La femme remercie. Elle va se retirer lorsque l'interne s'avise d'un oubli :
- Nous avons trouvé sur lui une lettre qui vous était adressée. J'ai tenu à vous la remettre moi-même. »
Cette lettre obsédait Pierre, nous le savons, il nous l'a dit...
« Ne pas oublier de détruire cette lettre. Voici un beau sujet de drame : une femme apprend par une lettre bêtement conservée dans une poche que homme qu'elle aime a décidé de la quitter. Cette résolution est absolument anachronique, l'homme a écrit cette lettre trois mois plus tôt dans un mouvement d'humeur. Il ne l'a pas expédiée parce qu'il la tient pour une sottise mais qui le saura jamais ? Pas la femme qui la lira. »
Pauvre Hélène…
Mais bon, d'aucuns penseront qu'elle « récupérera » plus vite après l'avoir lue…
N'ayant pas lu le roman cette précision m'indiffère, en revanche, j'ai vu le film et me souviens de l'accident de voiture…
Bien sûr ! la scène est fameuse ! qui verra le blessé mourir à l'hôpital de Laval, qui se trouvait, à l'époque, sur le quai Paul Boudet où se trouve aujourd'hui la résidence séniors que les socialos détestent parce que des catholiques ont participé à sa création …
Et que dire de la musique composée par Philippe Sarde…
Qu'elle est magnifique, extraordinaire ! Ma sensibilité en raffole et je l'écoute régulièrement en pensant à la belle Romy, qui a tant souffert dans sa vie, surtout après la mort de son fils David…
Poursuivons avec les romanciers disparus…
J'ai lu un roman paru en 1993, un roman étonnant, épatant, inoubliable, une sorte de chef d'œuvre dans son genre. Il a été écrit par un critique et collectionneur d'art qui vivait et travaillait à Paris et dans la Mayenne : Bernard Lamarche-Vadel (1949-2000), et qui s'est suicidé.
Je vous lis ce que Philippe Sollers a écrit, et qui figure sur la 4e de couverture :
« Un grand livre est une expérience immédiate : voici des phrases simples, obstinées, glissantes, qui vous enveloppent et vous lâcheront pas (…) Le sujet, en apparence, est très calme : ce narrateur a, comme son frère, une vocation de vétérinaire. C'est son destin naturel, les animaux, leur vie, leur mort (…). Oui, ce narrateur est très attentif, il observe, il soigne en passant. Il y a aussi Jlaus Friedrich, curieux ami, menuisier et peintre. Il y a aussi une jeune femme et son chat. Il y a surtout, l'Union des Vétérinaires et son club confortable. Tout est normal. Extrêmement normal. Humour ? Comble de folie raisonnable ? Force de la littérature, en tout cas. »
Bien vu et belle dernière phrase. Vite, vite, un extrait !
« Etudiant endurci en sciences vétérinaires, je me rapprochais chaque jour davantage de l'état de mon frère aîné Joseph qui, vétérinaire, l'était. Le bruit en avait couru de Nogent à Neuilly-Plaisance, le décalage entre mes gestes et les gestes du vétérinaire s'amenuisait. Entre les frères Maurs, Joseph et Paul, subsistait encore pour quelque temps la différence monumentale d'un diplôme, mais pour les riverains de la Marne mon infériorité était de moins en moins bruyante. Sans doute n'avais-je point droit d'entrer dans l'immeuble de l'Union des Vétérinaires, accessible à ceux-là seuls qui sont armés du parchemin vers lequel je me dépêchais, mais les habitants du Val-de-Marne ne savaient pas que le passage des lourdes portes de l'hôtel particulier où siège l'Union et où elle reçoit mène à l'énorme diamant né de la cristallisation d'une appartenance homogène dont chaque étudiant en sciences vétérinaires rêve d'être ébloui. Pour mes clients qui étaient d'abord ceux de mon frère que j'assistais, entre les Maurs, une lente transfusion du don de soigner les animaux suivait la pente qui monte à l'égalité du pouvoir de chacun sur les maladies. Paul, se disaient-ils, paraît incertain à l'ombre de Joseph massif sur son établi, mais cette ombre de Joseph protège la croissance de Paul et nul doute qu'un jour leur cimes seront à même hauteur. »
C'est bien écrit…
C'est le style de Lamarche-Vadel qui évoque les deux frères Maurs et, omniprésente dans le roman, l'Union des Vétérinaires…
Un autre extrait ?
Oui, et lié à un drame que nous avons connu, ma femme et moi, durant l'été 2022, quelques jours avant que j'apprenne la nouvelle de mon licenciement : la mort de notre labrador chocolat, Sherlock, que nous avons dû faire euthanasier car il chiquait un peu tout le monde, le bougre !
« Déjà tuer un chien de ses mains, en temps normal, avec les moyens ordinaires, s'y étant préparé avec les outils traditionnels et les liquides adéquats est astreignant. Que ce soit le dosage dans le cylindre de verre ou de matière plastique, qu'il s'agisse du degré d'enfoncement de l'aiguille entre les côtes, on est toujours très préoccupé par toutes les résistances qui pourraient survenir, de la torsion de l'aiguille à la mauvaise dilution de la préparation dans les tissus. Chacun a peur de mal s'y prendre et que la mort qui est la fin recherchée de l'action, d'une manière ou d'une autre ne s'accomplisse pas, que l'on soit obligé à travers mille difficultés de la poursuivre et de la forcer. Beaucoup évitent de tuer un chien car ils craignent avec raison malgré toutes les précautions prises, les doses vérifiées, l'acier de l'aiguille renforcé, que la main ne soit pas sûre, dérape dans la fourrure du col ou sur le rideau des côtes, l'œuvre faite à moitié. Armé d'un bâton, d'un fort gourdin ou d'un manche de pioche, tous hésitent encore davantage. Rien n'est plus fâcheux, inopportun et alarmant souvent que le mouvement incessant du chien, la plupart du temps circulaire, et donc le risque très sérieux de rater la partie que l'on a décidé d'enfoncer , et de broyer par conséquent un emplacement qui n'a pas été choisi et qui se révèle alors n'être pas vital bien qu'il ait été anéanti sous le coup terrible mais déplacé porté sur le corps du chien…»
Toujours envie d'être vétérinaire, cher Bois-Renard ?
C'est une idée qui ne m'est jamais venu à l'esprit, je n'aime que le chien de ma femme...
Je vous invite à lire ce livre qui donne une impression de force, de solidité, une idée de la France d'avant. Bernard y parle excellemment du métier de vétérinaire qu'exerçaient son père et, pour la petite histoire, mon beau-père.
Alors Bernard Lamarche-Vadel, grand écrivain ?
En tout cas, l'homme d'un grand livre.
Au suivant !
J'ai savouré Madame de, signée par Louise de Vilmorin. Une histoire de boucles d'oreille, a priori futile. Un livre sur le mensonge. Mais bon, il faut le lire en entier car là encore aucun résumé n'est possible. Finesse, esprit, humour. Du grand art. A la hauteur de l'image que j'avais gardée de cette incomparable Louise si bien biographiée (en 1993) par Jean Bothorel.
Que des morts…
Non cher Bois-Renard, Bothorel n'est point au cimetière ! Et, si vous me permettez, les morts que j'ai évoqués sont plus vivants que certains vivants que je connais mais que je ne citerai point…
Parlons maintenant des romanciers qui se lèvent tous les matins…
Avec plaisir ! Mais après une pause qui permettra à nos lecteurs de se reposer ou de passer à autre chose…
Vous avez raison, au-delà d'un certain temps de parole, l'auditeur se lasse…
A demain, mon cher Bois-Renard…