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Deux ans de lecture (II) avec Emmanuel Carrère, Hélène Devynck, Alix de Saint André...

Cher JCG, je reviens vers vous afin d'évoquer vos lectures des deux années passées, celles ayant suivi votre départ de la librairie qui vous a employé entre juillet 2017 et novembre 2022. Terminons-en avec les romanciers que vous avez lus en traitant, cette fois, ceux qui sont toujours en vie…

J'ai lu - d'une traite - mon premier Modiano, Remise de peine, et dois avouer qu'il ne m'en reste rien. Rien de rien. Pas la moindre émotion. Je ne prétends pas que l'auteur manque de talent dans la narration et le déroulé de l'histoire, mais enfin, le livre achevé, je ne me souvenais de rien. Pour ne pas rester sur cette impression de vide sidéral, j'envisage quand même de lire deux ou trois autres ouvrages de cet auteur encensé par la critique et qui, bien qu'il s'y exprimât toujours avec peine, avait son rond-de-serviette chez Pivot durant les années Apostrophes

Un autre romancier ?

J'ai enfin lu un roman que j'avais depuis trente ans dans ma bibliothèque, un roman policier édité dans la célèbre collection de la Série noire créée par Marcel Duhamel chez Gallimard : L'ange et le réservoir de liquide à freins.

Mazette, vous l'aviez conservé comme un Banyuks ACO ou un Maury !

Oui. Il est signé par une certaine Alix de Saint-André qui peut être fière de m'avoir fait passer un excellent moment. Son livre publié en 1994 narre une série de meurtres qui « s'abat sur le clergé angevin [de 1970] déjà déboussolé par les consignes liturgiques de Vatican II ».  

Certaines de ces consignes, je les ai expérimentées à l'école de la Salle, dans les années 70…

Un exemple…

La confession collective. J'y ai eu droit une fois quand je préparais- avec tous les potes de l'époque - ma confirmation à Notre-Dame des Champs.

L'archiprêtre créé par Alix de Saint André m'a rappelé des vieux souvenirs.

Extrait de son dialogue avec Mère Antoinette :

« Qu'est-ce que je vous avais dit ma mère ! demande l'archiprêtre, si vous saviez qu'à Saint-Paul où nous confessons le Samedi Saint à pas moins de huit prêtres, chacun dans notre bicoque, certains fidèles nous chonomètrent pour choisir le plus rapide !

- Seigneur !

- Mais si ! On veut se faire une petite lessive de printemps bâclée pour pouvoir faire ses petites Pâques. Quelle hypocrisie ! Pharisiens ! Petite cuisine minable de petits-bourgeois […] Nous avons perdu ce sens de la communauté qui animait les premiers chrétiens  ! Cette année j'organiserai donc une Cérémonie pénitentielle …

- Aaah !

- Examen de conscience en commun, chants, et absolution collective du peuple de Dieu !

- Est-ce possible !

- Evidemment il faut que chacun avoue ses péchés graves, ceux qu'on appelait mortels autrefois, avec ce goût du tragique… Il haussa les sourcils… Pour ne pas créer de nouveaux encombrements devant les confessionnaux, j'ai pensé que chacun les écrirait sur un petit papier, je les lirai, et voilà

J'avais à l'époque, trouvé cela bizarre… Mais ça avait un avantage : ne point dire à voix haute ce dont nous n'étions jamais fiers…

Et en vieillissant…

Je trouve ça complètement tarte, ridicule. Ce n'est point une confession, surtout.

Le roman nous fait découvrir aussi une jeune protestante, Martine Boissard, qui a droit à la question suivante :

« Tu crois que ce serait mieux si les prêtres étaient mariés ?

- Ca, c'est bien une idée de catholique : on voit que vous ne connaissez pas les femmes de pasteurs... Dans un autre genre, c'est encore pire que les bonnes sœurs, c'est moi qui te le dis ! »

Mais ce roman est bien un polar ?

Oui, rassurez-vous, ce n'est pas un livre religieux, ni un nième essai sur le Concile.

Après quelques belles pages préliminaires sur la Loire, l'auteur évoque le drame qui suscitera la curiosité de deux jeunes pensionnaires de l'institution religieuse concernée. Deux jeunes filles, Stella et Hélène, qui vont se transformer en enquêtrices...

Quel drame, cher JCG...

Conduite par sœur Marie-Claire, une 2C était venue s'empaler sur une borne qu'on ne voyait plus. « Dedans on distinguait un emberlificotis de voiles noirs, jupes noires, crucifix et chapelets noirs, tout sens dessus dessous ; à l'avant, du côté du conducteur, un visage émergeait du pare-brise comme un monstrueux bubon qui sanguinolait sur le capot blanc. »

Morte de chez morte. Hélas, pas moyen de la sortir.

« C'est que l'autre sœur était quasiment assise sur les genoux de la défunte, ce qui est une drôle d'idée quand on fait de la voiture, et leurs jambes étaient tout emmêlées au-dessus des pédales.

Dieu merci les pompiers arrivèrent avec une scie à métaux et entreprirent d'ouvrir la voiture comme une boîte de conserve. »

La morte, c'est la cuisinière, la sœur Marie-Claire.

Celle qui va s'en sortir, c'est la supérieure de l'institution Mère Adélaide. Et deux jeunes élèves vont mener l'enquête, Stella et Hélène.

C'est bien écrit, « bien torché », avec de nombreuses bonnes sœurs et des collégiennes.

Mais là encore, comme pour les romans de Michel de Saint-Pierre que vous avez vantés lors de notre premier entretien, il est préférable d'avoir quelques notions de catholicisme…

Oui, cela permet d'apprécier certains traits d'humour, de mieux comprendre l'état d'esprit des bonnes sœurs du roman.

Par exemple quand sœur Adélaïde, remise de son accident, fait la tournée des classes pour mesurer le niveau des élèves un an après l'entrée en vigueur des nouvelles mesures conciliaires…

Précision offerte par la romancière : « Adélaïde pensait que le monarque doit davantage se faire craindre que se faire aimer, et elle le prouvait »

Elle commence par une classe de sixième…

«  - Eh bien mes enfants nous étions en cours de catéchisme, que faisions-nous, voyons, Alice Chantonneau ?

Ladite Alice, brune et ronde, se leva, rougissant sous ses taches de rousseur, les mains bien appuyées  sur sa table.

- On cherchait des faits de vie pour le Bon Samaritain.

- Votre bureau ne va pas s'envoler ! Tenez-vous droite, voyons… Des faits de vie, comme c'est intéressant, qu'est-ce que c'est ?

Des personnes dans le monde d'aujourd'hui qui se comportent comme le Bon Samaritain

- A la bonne heure ! et où trouvez-vous ça ?

- Dans les gens qu'on connaît, dans le journal… Après on les dessine ou on les colle…

- Portez-moi ça, je vous prie !

 Alice Chantonneau s'avança prudemment vers le bureau, tendit son cahier et vlan ! s'en prit au retour un grand coup sur la main. Le silence vibrait.

- Bravo Mademoiselle je vous félicite c'est comme ça qu'on vous élève ? On n'offre jamais rien avec la main gauche !

- Mais ma mère je suis gauchère

- Il n'y a pas de mais ! Quand quelqu'un vous dit bonjour, vous lui serrez peut-être la main gauche  aussi, petite impolie.»

Bien vu ! 

C'est ensuite au tour d'une certaine Agnès à laquelle la Mère supérieure demande ce qu'est Dieu…

« - Dieu est amour… répondit Agnès sans se mouiller.

- Mais encore ?

- C'est notre Père.

- Bien sûr, mais ensuite ? Quelle est Sa nature ? Qu'a-t-Il fait ? Quelle est Sa volonté ?

- Bah, il a créé tout l'univers, il nous aime, il est gentil…

- GENTIL ? GENTIL! Comment pouvez-vous dire une chose pareille, malheureuse ! […] Et c'était gentil, peut-être, petite sotte, de détruire Sodome et Gomorrhe ? C'était gentil, le déluge ? C'était gentil de demander à Abraham de sacrifier son fils ?

Et un grand coup de béquille sur le bureau. Silence.

- Sachez jeunes filles que Dieu n'est pas gentil, il est bon. Dieu n'est pas niais…Qu'est-ce qu'on leur a appris à ces petites, excepté à découper le journal ?   »

Là encore, c'est du vécu, cher JCG ?

Oui. J'ai donné des cours de catéchisme quand mes enfants étaient au collège. Je puisais les récits bibliques dans un livre de 1947 qui avait appartenu à mon père (né en 1938) et je ne passais pas dix minutes à faire du coloriage…

Toutefois, je restais muet sur ma méthode auprès de la responsable…

Romancier suivant...

Un journaliste du Figaro littéraire, Etienne de Montety, qui, dans La Grande épreuve, évoque avec réalisme l'emprise de l'islamisme sur certains jeunes Français plus ou moins faibles d'esprit ou profondément perturbés par des situations liées à leur origine ethnique. Une histoire sinistre, c'est le moins qu'on puisse dire, mais hélas qu'on retrouve parfois dans l'actualité…

Un extrait ?

Non, la 4e de couv' : « Une petite ville paisible du Sud-Ouest de la France. Un couple sans histoire. Leur fils adoptif, David, qui s'interroge sur ses origines. Un prêtre esseulé qui tient bon dans la foi. Un flic résolu à l'action et au silence, pour préserver la femme qu'il aime. Un adolescent, Hicham, que la frime et le goût du risque conduisent en prison. Des remarques blessantes, de mauvaises rencontres, David et Hischam basculent. Une colère de plus en plus radicale, une violence qu'accentue l'emprise de l'islamisme.

Et tout se précipite.

Vers cette église, la tragédie attire comme un aimant des hommes que rien ne prédisposait à se rencontrer jusqu'à l'explosion.

Un roman saisissant sur les visages de l'engagement. »

Ce thème n'est pas nouveau…

Vous avez raison et je me souviens d'avoir lu - et beaucoup apprécié - le roman de Thierry Jonquet paru en 2006 aux Editions du Seuil : Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

Un autre romancier ?

Oui, l'un des rois des meilleures ventes d'aujourd'hui, un type né en 1985 et qui vit en Suisse  : Joël Dickers, vanté par certains de mes proches qui lisent tous ses romans depuis qu'ils avaient été emballés par le premier : La vérité sur l'affaire Henri Québert, qui date de 2012 et affichait trois millions de lecteurs en 2015, trois ans avant d'avoir été adapté en série télé par Jean-Jacques Annaud. 

Beaucoup de célébrités m'en ont dit aussi le plus grand bien.

A commencer par feu Marc Fumaroli, de l'Académie française : « C'est très rare, mais quand cela arrive, rien ne peut couper court à l'excitation. Jeune ou moins jeune, lecteur difficile ou facile, femme ou homme, on lira sans discontinuité jusqu'au bout le roman français de Joël Dicker, La Vérité sur l'Affaire Harry Québert. On n'en sortira qu'épuisé et ravi par le jet continu d'adrénaline littéraire que le narrateur n'a cessé d'injecter dans nos veines. » Ou feu Bernard Pivot, de l'Académie Goncourt : « Si vous mettez le nez dans ce gros roman, vous êtes fichus. Vous ne pourrez pas vous empêcher de courir jusqu'à la six centième page. Vous serez manipulé, dérouté, sidéré, agacé, passionné par une histoire aux multiples rebondissements, fausses pistes et coup de théâtre. »

Mais c'est son tout dernier livre que j'ai lu l'été dernier : Un animal sauvage. En moins de 24 heures. La mécanique policière y est parfaitement huilée. Avec toutes les explications possibles pour ne pas se perdre en route et, aussi, des informations passées sous silence pour réserver un suspense qui va crescendo jusqu'à la dernière page…

Certes, il y a des choses tirées par les cheveux, beaucoup de poncifs aussi, mais l'objectif est atteint : on ne quitte pas l'ouvrage avant d'en connaître la fin.

Qu'en avez-vous retenu ?

J'ai gardé une mauvaise impression des personnages qui peuplent ce roman : ils n'ont aucune densité humaine digne de ce nom et ressemblent à ceux qui pullulent dans les hautes sphères du Pouvoir. Tous ne pensent qu'au pognon, au sexe, à la réussite dite sociale. Et tous sont prêts à atteindre leurs objectifs à n'importe quel prix...

En clair, Dickers nous montre - mais sans le vouloir, j'imagine - tout ce qu'il faut fuir si l'on veut sortir réellement du lot et, surtout, surtout, gagner son paradis sur terre.

Je vous dis cela car, par le plus grand des hasards  (si tant est que ce dernier existe), j'ai torché ce roman entre deux séances de relecture d'un livre d'une grande profondeur, un ouvrage que tout chrétien devrait avoir chez lui, un ouvrage extraordinaire, lui, car il élève l'âme : La Damnation mode d'emploi : comment aller en enfer, pamphlet apologétique, d'un certain Jean-Pierre Fontaine.

Je ne pouvais imaginer deux livres aussi dissemblables !

Et me réjouis d'avoir lu les deux pendant la même période car le roman me permis de mieux apprécier le livre de Fontaine. 

Un extrait de La Damnation, s'il vous plaît ?

Oui, page 152 - ouverte au hasard et pile poil sur les personnages du dernier Dickers  :

« Le piège majeur des temps modernes a été et reste la substitution du faux choix - préférence superficielle, immédiate, instinctive et quasi animale - au vrai consentement qui engage l'être en profondeur dans la durée. On l'a vu pour la fidélité conjugale, c'est aussi vrai, on le verra, en politique, et c'est vrai pour les relations quotidiennes avec le prochain. Le moi souverain absolu choisit souverainement l'action qui lui semble la plus séduisante, quellles qu'en soient les conséquences mauvaises pour autrui, et finalement pour lui-même. »

Très bien, un autre exemple ?

Les premières lignes de l'avant-propos donneront peut-être à certains l'envie d'en savoir plus sur cet ouvrage, je le répète, formmidable.

« La première Bonne Nouvelle est l'absolue innocence de Dieu.

L'erreur et le mensonge ont falsifié nombre d'articles de la Foi :  le péché originel serait une malédiction imméritée ; les souffrances une décision que Dieu prendrait souverainement pour nous éprouver ou nous punir ; l'assurance du Salut en Jésus-Christ, un pari sur l'inconnaissable ; la damnation éternelle, un châtiment révoltant par sa démesure. Ces mensonges qui présentent le Dieu d'Amour sous les traits d'un monarque ombrageux et vindicatif, plus prompt à châtier qu'à pardonner, ont contribué à vider les églises bien avant les extravagances contemporaines.

« Les erreurs nouvelles répondent aux erreurs anciennes ; au janséniste, qui réservait le paradis à une infime minorité de croyants privilégiés, a succédé le post-conciliaire qui en fait la destination inconditionnelle de l'espèce humaine. Et pourtant des hommes se damnent, et en grand nombre. Comment la perdition éternelle est-elle compatible avec l'infinie innocence du Dieu d'Amour. Pourquoi Dieu a-t-il borné sa toute puissance en nous donnant la liberté de choisir l'enfer, et comment peut-on choisir l'enfer ? C'est à ces questions que cet ouvrage veut aider à répondre.

Un autre roman ?

Dans un autre style, j'ai lu le dernier ouvrage de Johan Livernette, qui raconte sa descente aux enfers sur le plan familial et politique : Prisonnier politique paru en 2023. Ce récit est d'autant plus terrifiant quand on sait que Johan a été, ensuite, terrassé par un accident vasculaire cérébral. Certes, il est revenu à la maison et a déjà accompli d'immenses progrès mais enfin, quand on l'a connu il y a quelques années…  

Espérons qu'il remonte la pente le plus rapidement possible… Autre auteur vivant…

Un écrivain que je ne connaissais que de nom, un auteur français qui ne manque pas de talent pour décrire son « misérable petit tas de secrets », Emmanuel Carrère.

Je l'ai découvert via Le Royaume, un gros livre dans lequel il narre avec force détails la période de sa vie où il se considéra comme chrétien (il a perdu la foi depuis).

Dans son prologue, qui date de 2011 (trois ans avant la parution du livre), il nous informe on ne peut plus clairement :

« En quelques mots : à l'automne 1990, j'ai été touché par la grâce, c'est peu dire qu'il me gêne guère de formuler ainsi les choses aujourd'hui mais c'est ainsi que je les formulais à l'époque. La ferveur résultant de cette conversion - partout, j'ai envie de mettre des guillemets - a duré presque trois ans, durant lesquels je me suis marié à l'église, ai fait baptiser mes deux fils, suis allé à la messe régulièrement - et par régulièrement je n'entends pas toutes les semaines mais tous les jours. Je me confessais et communiais. Je priais, et exhortais mes fils à le faire avec moi - chose que, devenus grands, ils aiment bien me rappeler avec malice.

« Au cours de ces années, j'ai commenté chaque jour quelques versets de l'Evangile selon saint Jean. Ces commentaires occupent une vingtaine de cahiers, jamais rouverts depuis. Je n'ai pas de très bons souvenirs de cette époque, j'ai fait de mon mieux pour l'oublier. Miracle de l'inconscient : j'y ai si bien réussi que j'ai pu commencer à écrire sur les origines du christianisme sans faire le rapprochement. Sans me rappeler que cette histoire à laquelle je m'intéresse tant aujourd'hui, il y a eu un moment de ma vie où j'y ai cru.

Maintenant ça y est, je me rappelle. Et même si cela me fait peur, je sais que le moment est venu de relire ces cahiers.

Mais où sont-ils ? »

Ce n'est pas un roman, manifestement…

Non, c'est un récit. Car tout ce qu'il écrit est vrai, lui est arrivé. Outre le fait de s'analyser en long, en large et en travers, de se mettre à nu devant nous, Carrère cite également son entourage, sa famille proche, ses amis, sa marraine, ses parents, sa femme (de l'époque car il change régulièrement). Dans ce domaine, il n'a aucune pudeur. Et ne nous laisse rien deviner de lui.

D'aucuns trouveront cela regrettable...

Oui et à ceux-là je donne le conseil suivant : « Si vous croisez Carrère demain et sympathisez avec lui, surtout, ne lui parlez pas de votre vie privée ni d'aucun sujet susceptible de vous mettre mal à l'aise le jour où il parlera de vous et de vos dires dans son prochain ouvrage ! »

Suis surpris que vous appréciez Carrère, c'est de l'autofiction pourtant ?

Oui, mais de qualité. De l'autofiction mais pas uniquement car il mêle à sa vie des sujets qui ne regardent pas nécessairement son nombril. Des sujets qui le dépassent. Il a créé un style, le style Carrère, j'y suis sensible.

Je le constate…

Force m'est de reconnaître que ce livre m'a plu parce que je l'ai lu à un moment de ma vie où il ne pouvait que me plaire. De là à apprécier le bonhomme, à être d'accord avec lui, à le considérer comme un proche, non ! C'est un bobo comme il en existe deux mille sur la place de Paris, un bobo prévisible et qui professe toutes les grandes conneries et autres fumisteries que l'époque impose à ceux qui veulent faire une carrière.

Je l'ai entendu une fois s'exprimer sur l'avenir de la planète et le réchauffement climatique et j'ai eu mal pour lui.

Je suis d'accord avec vous mais, je le répète, j'ai beaucoup aimé son Royaume.

J'ai apprécié d'y retrouver les tout premiers chrétiens en pleine action : saint Pierre, saint Paul, tous ces « membres fondateurs » du christianisme qu'on peut qualifier « de très haut vol »…  Des chrétiens que j'avais déjà rencontrés peu de temps avant, en dégustant un roman historique, Urbi et orbi, écrit par un Merle que je ne connaissais pas : Olivier, l'un des fils du talentueux Robert, l'auteur de Fortune de France, de La Mort est mon métier...

J'avais été très intéressé par cette époque, qui débuta après la résurrection de N.S.J.C. et dans laquelle les premiers chrétiens étaient - et nécessairement - des circoncis du 8e jour…

Des judéo-chrétiens en fait…

Oui, et je pense que c'est - pour une fois - l'expression qui convient. Disons que certains responsables de la nouvelle religion exigeaient que les nouveaux fidèles fussent d'abord juifs pour devenir chrétiens !

Une aberration quand on y pense !

Dieu merci, saint Paul est passé par là.

Et il n'est pas venu par hasard…  

Bien sûr ! Sans lui, il est permis de penser que le christianisme n'aurait pas eu le succès qu'il a connu… En tout cas, je le remercie d'avoir permis aux croyants de pouvoir devenir chrétiens sans se faire exciser le prépuce…

Pour en revenir au récit de Carrère, il m'avait été conseillé par une ancienne cliente de la Librairie française à qui j'avais vanté Urbi et Orbi. « Si tu as aimé celui-ci alors tu apprécieras celui-là. »  Elle ne s'était point trompée…

Vous avez lu d'autres livre du fils d'Hélène Carrère d'Encausse ?

Oui, mais dans la foulée, j'ai d'abord lu un livre-choc de l'ex-femme de Carrère qu'on retrouve plusieurs fois dans Le Royaume (Carrère, j'insiste de nouveau sur ce point, ne peut s'empêcher de commenter sa vie privée dans ses « romans » et, entre autres indiscrétions, d'évoquer la femme avec laquelle il vit durant la période considérée). Cette ex-compagne s'appelle Hélène Devynck et Carrère m'a donné envie de la mieux connaître, si j'ose dire. Elle a écrit un livre plutôt sombre : Impunité, qui narre les (très) « mauvaises habitudes »  de l'ancien présentateur-vedette du J.T. de la deuxième chaîne, PPDA, à l'égard des femmes en général et de la Belle Hélène en particulier. Laquelle, pour son plus grand malheur, fut son assistante pendant deux ans, de 1991 à 1993.

J'imagine que ce livre doit être nauséabond...

C'est sale, moche, minable. On ne peut plus penser à PPDA de la même façon une fois qu'on a lu Impunité.

Je veux bien vous croire même si, je l'avoue, je suis toujours méfiant concernant ce sujet, car certaines femmes se plaignent parfois de situations qu'elles ont-elles-mêmes, comment dire ?, suscitées ?, autorisées ?, créées ?

Disons qu'elles ne devraient jamais mettre un pied dans le bureau de certains porcinets de compétition…  et s'étonner ensuite qu'il y ait eu de la part de ces derniers certains gestes pour le moins inconvenant…

PPDA, cela faisait pourtant des années et des années que tout le monde savait qu'il avait tendance à mettre sa notoriété au service de son appareil génital… Que c'était un q. invétéré…

Pendant mon service militaire en 1986-87 j'étais dans la Marine à Paris et ainsi, côtoyé nombre de matelots qui servaient dans les cuisines des différents ministères. L'un d'eux, un jour que nous faisions la plonge ensemble, m'avait raconté qu'il avait fait un extra pour je ne sais plus quel grand repas qui s'était tenu au Trocadéro. Il avait servi P.P.D.A. et vu qu'il avait passé son temps à peloter l'une de ses voisines avec un aplomb incroyable. Il se comportait comme un débauché de l'empire romain. Mon camarade de plonge en était tout secoué, scandalisé même, au point qu'il m'avait dit que ce type était un goujat de la pire espèce…

Mais bon, il y avait peut-être des jeunes femmes naïves qui pensaient qu'il les invitait à venir dans son bureau après le J.T. de 20 heures pour y admirer l'une des plus belles vues de Paris…

Vous parlez d'une vue de Paris…

Une vue un peu spéciale, je vous l'accorde...

Pour conclure, conseilleriez-vous le livre d'Hélène ?

Oui. Et ne serait-ce que parce qu'elle égratigne le psychopathe qui occupe l'Elysée, dans son chapitre sur Le Petit Mohamed

Un extrait, please…

« Sur sa photo officielle de président de la République, l'image dont tous les détails sont présentés comme une révélation programmatique, Emmanuel Macron a voulu des livres.

Trois auteurs ont été choisis : Charles de Gaulle, pour le sens de l'Histoire, Stendhal , avec Le Rouge et le Noir pour Julien Sorel, et André Gide.

André Gide, pour dire quoi ?

Gide avait 28 ans quand il a publié Les Nourritures terrestres. Je suppose que les conseillers lettrés de la présidence, ou le président lui-même, ont voulu mettre en avant la précocité de l'artiste et faire le parallèle avec la jeunesse exceptionnelle du nouveau chef de l'Etat, élu à 39 ans.

Je ne peux imaginer que ni le président ni aucun de ses conseillers n'aient lu les livres de cet auteur. La maladresse ou l'erreur sont inconcevables dans le cadre d'une mise en scène destinée à entrer dans l'histoire du pays.

Forcément, quelqu'un dans l'entourage de la présidence, si ce n'est le chef de l'Etat lui-même, a lu l'autobiographie d'André Gide, Si le grain ne meurt.

Il y raconte le petit Mohammed : Qu'il était beau ! A demi-nu sous ses guenilles, noir et svelte comme un démon. L'écrivain admire la sveltesse de son corps enfantin, la gracilité de ses jambes nues qui sortent de la blanche culotte bouffante. Il raconte qu'il sodomise l'enfant jusqu'à l'épuisement (celui de l'auteur narrateur, pas celui du petit Mohammed). Deux ans plus tard, il regarde son ami Daniel sodomiser à son tour, devant lui, celui qui est devenu un adolescent. Il s'étonne de trouver ça horrible. Il passe les pages suivantes à se justifier complaisamment.

Gide a eu le prix Nobel [...]

« Quel message a fait passer le jeune et fringant président de la République française à travers cette photo affichée sur les murs des mairies et des écoles ? Que ce message soit passé sciemment, volontairement, ou qu'il soit le résultat d'une négligence n'y change rien. Cette photo existe. André Gide y figure. C'est un fait.

[…] Que faut-il entendre, comprendre ?

Que les pédocriminels peuvent être tranquilles ? Qu'ils resteront honorés et prestigieux pour les siècles des siècles ? Que raconter comment on sodomise un enfant, c'est chic ? Que la pire délinquance sexuelle ne prête jamais à conséquence pour son auteur ? Que l'impunité des puissants est totale, qu'ils sont portés au pinacle même après leur mort, lavés de leurs crimes, quel qu'en soit la gravité ? [..]

Ce choix n'augurait pas d'un changement d'époque radical nu une grande volonté de soutenir la parole des victimes de violences sexuelles.

En utilisant André Gide comme symbole de la culture qui le constitue, Emmanuel Macron a indiqué, dès son arrivée à l'Elysée, ce que sera sa politique sur les violences sexuelle et ce q'il nous dira, à nous [Hélène et ses copines abusées par qui vous savez] quatre ans plus tard. »

Un épisode qu'elle racontera dans la foulée, qui démontre que notre époque est pourrie…

C'est intéressant là encore…

J'ai acheté cet ouvrage pour deux raisons : la bonne impression, je l'ai déjà évoquée, que Carrère donne de son ex-femme dans Le Royaume et le fait que le premier livre de cette dernière était à 2 euros quand je suis tombé dessus lors d'un de mes innombrables passages chez Emmaüs.

Au fait à propos d'Emmaüs, que pensez-vous de l'Abbé Pierre ou, plus exactement, de « l'affaire de l'Abbé Pierre » ?

C'est drôle que vous me parliez de ce curé car j'ai lu pas plus tard qu'hier un article le concernant et titré : Un saint de notre temps, L'Abbé Pierre. Il est signé Christine Clerc et a paru dans le Figaro Magazine du 27 février 1988. Oui, 1988. Je suis tombé dessus en détruisant des kilos de vieux journaux qui rendaient difficile la circulation dans mon bureau…

Encore une qui ne savait pas…

Sans doute, et qui a dû être surprise que les merdias se jettent ainsi sur l'Abbé dix-sept ans après sa mort.

Qu'en pensez-vous ?

On entend tellement de bêtises et de mensonges dans ces merdias que j'ai tendance à vouloir tout vérifier par des sources en qui j'ai confiance. Je savais que l'Abbé avait un problème avec le respect de la chasteté car il en a parlé de nombreuses fois. Maintenant, le personnage était tellement anti-FN qu'il ne pouvait pas avoir droit à mon admiration…

Vouloir lutter contre la pauvreté, c'est aussi lutter contre l'immigration qui l'accentue...

Bien sûr ! Une dernière remarque sur ce sujet qui ne m'intéresse pas.

L'autre jour, chez Emmaüs, à Laval, dans la « maison du proscrit » si l'on peut dire, j'ai demandé à la caissière d'une soixantaine d'années (une bénévole de l'association, il n'y a pas de « compagnonne ») si cela n'avait « pas été trop dur de virer le buste de l'Abbé et les photos le concernant à l'accueil ». Elle m'a répondu que des vieux compagnons avaient mal pris la chose. Forcément !  « Etait-ce nécessaire ?, ai-je alors demandé. S'il ne s'est contenté que de masser et tripoter des bénévoles adultes, cela n'a rien de glorieux, cela est hautement condamnable, surtout de la part d'un prêtre mais enfin, dix-sept ans après sa mort… - Monsieur il a aussi violé. - Violé ? - Oui, et des enfants aussi. - Dans ce cas, il n'y avait pas à hésiter un quart de seconde… »

Quelle tristesse !

Néanmoins, je trouve scandaleux que les merdias parlent davantage de l'Abbé Pierre que de messieurs Miller (Gérard), Duhamel (Olivier), Palmade (Pierre) et j'en passe...

Mais bon, ces gens-là ne sont pas catholiques...

Oui, et ceci explique peut-être cela...

Mais revenons à Impunités

Son livre m'a intéressé, je l'avoue, au point de lui adresser une lettre qui, vous vous en doutez, est restée à ce jour sans réponse… 

Elle ne l'a peut-être jamais reçue ou alors elle elle a consulté votre « dossier Google » et considéré que vous ne méritiez point de réponse de sa part…

Si on ne veut pas de moi à Evron pour faire un stage de trois jours dans une entreprise de pompes funèbres (j'en parle dans mes souvenirs), je n'imagine pas Hélène Machin Chose prendre sa plus belle plume pour répondre à ma gentille lettre…

Carrère est donc devenu l'un des rares auteurs français vivants que vous lirez désormais… 

Disons que ses livres, mélange d'auto-fiction et de reportage, se laissent lire. Ce n'est pas de la « grande littérature » comme chez Lamarche-Vadel mais c'est le cadet de mes soucis car je pense comme Voltaire dans ce domaine : Tous les genres sont bons hors le genre ennuyeux. Et Carrère ne m'ennuie jamais même si, parfois, il est un peu longuet sur tel ou tel sujet. Je trouve son style plaisant, coulant. Il sait raconter ses histoires. J'ai aussi luYoga dans la foulée. Ainsi que L'Adversaire, qui retrace la vie effroyable de Jean-Claude Romand, le faux médecin qui, alors que son mensonge allait être découvert prochainement, a préféré à la vérité tuer ses parents, sa femme, ses enfants et, peut-être, son beau-père… J'avais vu le film avec Daniel Auteuil que j'avais beaucoup apprécié.

J'ai également aimé Un roman russe. Il nous entraîne dans trois histoires qui n'ont rien à voir entre elles sinon d'avoir un lien avec la Russie et de se dérouler en même temps… J'ai goûté, je vous l'ai dit, ce qu'il avait écrit sur Hélène, dans Le Royaume. J'ai apprécié aussi ce qu'il a écrit sur Sophie, dans Un roman russe. Encore une femme de gauche. Encore une amante qu'il n'a pas su garder. Une bobo, bien sûr. Mais une bobo qui n'était pas de son milieu à lui, Carrère. Cela ne pouvait pas coller. Je ne crois pas, n'ai jamais cru, à l'union du fils Rothschild et de la fille Groseille. Il n'est jamais bon de s'unir avec une femme qui n'a pas la même origine sociale que soi. D'aucuns me rétorqueront que c'est faux, que cela peut marcher, etc. Oui, peut-être, une fois sur trente...

Mais bon, il appréciait Sophie pour autre chose…

Certainement...

On se doute bien que si « votre » Carrère était mature dans le domaine amoureux, s'il avait, comme vous, privilégié la famille traditionnelle, la même femme à la vie à la mort, il n'aurait point écrit un seul roman, non ?

Bien sûr ! Mais à propos de roman le concernant, j'attends d'en lire un vrai signé de son nom : La Moustache ou La Classe de neige, par exemple,  qui m'attendent dans ma bibliothèque.

Je veux voir ce qu'il a sous la plume quand il aborde la fiction, qu'il ne raconte pas sa vie…

Avez-vous lu quelques biographies ?

Oui, bien sûr ! Mais cher ami, Cher ami, j'ai faim, j'ai soif et, surtout, une fois de plus, je ne souhaite pas fatiguer nos lecteurs…

A demain ou dans les jours à venir…

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