Il n'y a plus de France...
« Il n’y a plus de France mais il faut faire croire qu’une nouvelle France "se construit", et qu’il serait absurde de toujours se retourner vers "la France qui fut". Il n’y a donc plus de France mais il y a un espace France, comme il existe des espaces bébé sur les aires d’autoroute, des espaces vendanges à la place des vignes et des espaces culture partout à la place de tout. L’espace France des Futuroscopes et des Vulcanoparks, des Chiennes de garde et des brigades d’intervention artistique à la ferme, des champs de maïs transformés en labyrinthes ludiques et des imbéciles à trottinette, des repentirs de masse et des carnavals de la fierté, mérite bien son titre terrifique de "première destination mondiale pour le tourisme". On comprend que ça vaille tellement la peine de voir tout ça… »
Bien vu, non ?
J'avais placé ce petit texte (tiré de Exorcismes Spirituels III) dans le Laval Infos de mars 2003.
Je l'avais titré L'Espace France.
Muray et l'Europe, l'Union européenne
Dans Exorcismes Spirituels III, chapitre La Critique du ciel, Muray répond aux questions de deux journalistes de L'Hebdo (Lausanne). Certaines concernent l'Europe...
Autant vous défendez l'Eglise catholique, autant vous attaquez l'Europe et l'Union européenne.
"Parce qu'elle a été vendue aux peuples comme inéluctable. Comme un inéluctable désirable (Internet pareillement d'ailleurs). Tous les discours qui font l'éloge de l'Europe la représentent à la fois comme fatale et comme infiniment aimable. A ma connaissance, il n'y a rien d'inéluctable ou de fatal hormis la mort, laquelle n'est pas spécialement aimable ou désirable. La vie, c'est l'ensemble des forces qui résistent à la mort. Dans la façon dont l'Europe supranationale est construite, elle aussi de manière non contradictoire, uniformisée à mort, il y a quelque chose de funèbre, même si c'est peu perceptible sous le vacarme des panégyriques...
Mais cette uniformisation n'est pas inscrite dans le projet politique européen.
"Dans les faits, c'est ce qui se passe tous les jours. L'Europe supranationale a été décidée, elle aussi, sur la base du principe de précaution, à partir de l'idée qu'il fallait empêcher à tout prix que revienne jamais le danger des grands conflits dévastateurs du XXe siècle. Dans cette perspective évidemment juste, on s'est mis à détruire ce qui restait des nations. En poussant un peu l'humour noir, on pourrait dire que Hitler a été la vache folle de l'Histoire, et qu'aujourd'hui on dévaste tout pour que cette monstruosité ne réapparaisse jamais. Ce qui signifie aussi que tout est obnubilé par la pensée de Hitler, comme s'il n'était pas mort, réellement mort, heureusement mort, et vaincu, il y a cinquante ans."
Vous ne croyez pas à l'Europe comme facteur de paix entre les Européens ?
" Entre les Européens de l'Ouest ? Entre l'Espagne et le Luxembourg ? Entre la Belgique et la Grèce ? C'est une véritable escroquerie. Les peuples de l'Europe de l'Ouest sont sortis de l'Histoire. Maintenant, ils achèvent de vendre le souvenir de leurs anciens particularismes aux touristes. Ce sont tous des guides de musée ! Avec une casquette ! En revanche, on peut redouter de nouveaux types de conflits locaux entraînés par ce que Freud appelait les "narcissicimes de clocher" et qui se développeront sans doute au fur et à mesure que l'"harmonisation" se fera de plus en plus virulente, égalisante, effaçante de tout. "
Les fesses interdites !
En novembre 2008, quand notre adjointe à l'égalité hommes-femmes et aux luttes contre les discriminations (rien que ça !) a fait interdire des rues lavalloises la pub de la petite culotte Sloggi, j'ai ri bien sûr et imméditement pensé à Philippe Muray...
Pourquoi ? Parce que dans Exorcismes spirituels III, l'essayiste français le plus talentueux de la fin du XXe siècle fait allusion à Pudibonde de la Parité en écrivant que "les persécuteurs et persécutrices irréprochables pullulent à notre époque".
Autre occasion de citer Muray : le retrait de la "petite culotte Sloggi" s'inscrit dans ce combat permanent de "la pénalophilie déchaînée" qui "fait vibrionner les chiennes de Garde quand elles répètent pathétiquement qu'une pub sexiste constitue une insulte collective à toutes les femmes, qu'une insulte adressée individuellement à UNE femme atteint symboliquement toutes les autres ou que la pornographie est une insulte permanente à toutes les femmes ".
Pour conclure cette affaire, voici la réponse que Mamie Sloggi a livrée à un journaliste de Ouest France qui lui demandait si elle allait désormais surveiller de près les affiches : "Nous ne voulons pas nous ériger en censeur (sic). Mais nous resterons vigilants par rapport aux images qui doivent rester respectueuses vis-à-vis de la femme, des enfants et des hommes. Jamais, on ne se positionnera en censeur (re-sic)."
Sans commentaire !
Muray et l'Eglise catholique
Dans Exorcismes Spirituels IIII, deux journalistes de L'Hebdo de Lausanne posent à Muray la question suivante : Pourquoi prenez-vous si volontiers la défense de l'Eglise catholique ?
"Le christianisme, le catholicisme, les religions en général, sont déplaisantes pour l'homme nouveau. Le christianisme surtout parce qu'il est basé sur une sorte de dépréciation de l'être humain, consécutive au péché originel, contre lequel s'insurgent aujourd'hui toutes les prides du monde. Il y a dans le catholicisme une humiliation de l'être humain que le nouvel individu, qui a tout fondé sur un état de reconnaissance achevé, de fierté intégrale et intégriste, ne peut plus supporter. C'est ce qu'avait très bien compris Céline, qui n'était pas du tout chrétien pourtant, dans Mea culpa :
" La supériorité pratique des grandes religions chrétiennes, c'est qu'elles doraient pas la pilule. Elles essayaient pas d'étourdir, elles cherchaient pas l'électeur, elles sentaient pas le besoin de plaire, elles tortillaient pas du panier. Elles saisissaient l'homme au berceau et lui cassaient le morceau d'autor. Elles le rancardaient sans ambages : "Toi petit putricule informe, tu seras jamais qu'une ordure... De naissance tu n'es qu'une merde... Est-ce que tu m'entends ?... C'est l'évidence même, c'est le principe de tout ! Cependant, peut-être... peut-être... en y regardant de tout près.... que t'as encore une petite chance de te faire un peu pardonner d'être comme ça, tellement immonde, excrémentiel, incroyable... C'est de faire bonne mine à toutes les peines, épreuves, misères et tortures de ta brève ou longue existence. Dans la parfaite humilité... La vie, vache, n'est qu'une âpre épreuve ! T'essoufle pas ! Cherche pas midi à quatorze heures ! Sauve ton âme, c'est déjà joli ! Peut-être qu'à la fin du calvaire, si t'es extrêmement régulier, un héros de fermer ta gueule, tu claboteras dans les principes... Mais c'est pas certain"..."
Et Muray de conclure :
"Comme je suis plus ou moins en guerre contre la prétention du néo-humain à être le surhomme qu'il voudrait, j'ai de la sympathie pour les Eglises qui tenaient ce genre de langage, et notamment pour l'Eglise catholique...
Pourquoi la catholique en particulier ? demandent les journalistes.
"Parce que c'est celle que je connais le mieux. Parce que j'ai été élevé dans la "culture", comme on dit, catholique. Et surtout parce que c'est la plus attaquée. Remarquez cependant que l'Eglise elle-même tombe maintenant dans tous les pièges de la nouvelle civilisation hyperfestive. Récemment, les jeunes catholiques français se sont posé la question de la "visibilité" de leur spiritualité. Ils se sont dit : eh bien voilà, personne ne voit que nous sommes en Carême, alors que la télé parle tout le temps du Ramadam, c'est injuste. Après mûre réflexion, ils ont décidé d'arborer pendant le Carême des foulards violets pour se rendre "visibles", pour faire leur coming out de chrétiens. Tout cela est évidemment misérable..."
L'Eglise catholique qui se prétend seule détentrice de la vérité, qu'en pensez-vous ?
" Elle a raison. Ce n'est pas relatif, une religion. L'Eglise catholique n'est pas seule à s'affirmer détentrice exclusive de la vérité. Que cela soit "vrai" ou non n'a aucune importance. Allez demander aux Musulmans s'ils ne sont pas détenteurs de la vérité. Ou aux Juifs. Mais il n'y a que l'Eglise catholique qui est critiquée, et c'est cela la vraie question."
Histoire et post-histoire
Dans Le portatif, Philippe Muray livre une définition de L'Histoire et la post-Histoire.
"Cette hypothèse de la fin de l'Histoire, écrit Philippe Muray, j'en ai besoin pour rendre compte d'un grand nombre de phénomènes et de métamorphoses dans la société et dans l'univers humain. Mais la fin de l'Histoire, dans ma vision, n'a rien à voir avec celle de Fuyukama. Bien entendu, poursuit Muray, la fin de l'Histoire n'est pas la fin de l'humanité.
La fin de l'Histoire c'est le moment où la réalité n'est plus réelle et où ça commence à se voir.
L'Histoire s'était faite sur la séparation avec la nature et l'animalité. Elle meurt d'un désir partout perceptible de réunion, de fusion, d'abolition des différences et des frontières."
Et Muray de donner ensuite quelques traits post-historiques :
- Haine du patriarcat ou de ce qui en reste ;
- Demande de protection obsessionnelle ;
- Effacement des identités sexuées ;
- Moralisme pleurnichard et libertarisme cynique.
- Mélangisme. Amalgamisme. Puérilisme.
- Démence maniaco-législative."
Bien vu, non ?