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Quand Franz Liszt fait un flop

franz.lisztEn 1836, Laval accueillit "le roi des pianistes" et "le pianiste des rois".

Eh oui, le grand, l'immense Franz Liszt en personne ! Lequel joua devant très peu de monde, connut un bide complet...

 

Pianiste virtuose

Né de père hongrois et de mère autrichienne, le Tzigane Franz Liszt fut l’un des musiciens les plus adulés de son temps, une véritable star qui suscitait partout où elle « concertait », la liesse générale.

 

On a peine à le croire aujourd’hui mais chacune de ses apparitions dans une capitale européenne donnait lieu à des coups de canon ou autres feux d’artifice… Du délire !

Le 3 janvier 1846, lors d’une tournée dans l’Ouest de la France, Franz Liszt eut, après Rennes,  l’occasion d’honorer Laval de ses dix doigts magiques avant de jouer à Angers, Tours, Orléans et Paris. A noter qu’il se déplaçait en voiture particulière et avec un piano à queue original...

A Laval, ville alors peuplée de 17 000 habitants, seuls des entrefilets dans la presse locale annoncent la venue du virtuose le 3 janvier, pour un concert qui débutera à 8 heures du soir, dans la salle des fêtes de l’hôtel de ville.

L’Echo de la Mayenne

Bien sûr, ces entrefilets sont louangeurs, comme en témoigne celui publié dans L’Echo de la Mayenne qui, soit dit en passant, prouve que les longues phrases farcies de propositions subordonnées n’effrayaient point les lecteurs de 1846 nourris à l’analyse logique :

« Liszt, ce pianiste dont la renommée est immense, dont le talent, alors qu’il sortait à peine de l’enfance, ravissait déjà Paris, Vienne, Londres et Saint-Petersbourg Liszt, à qui son génie, que chaque année voit encore grandir, a mérité l’amitié des souverains, l’hommage intelligent des amateurs d’élite et le frénétique enthousiasme de la foule, Liszt, dont le seul nom fait palpiter du besoin de le voir et de l’écouter de nouveau les cœurs de tous ceux qui ont eu le bonheur de l’entendre, Liszt honore l’humble cité de Laval autant que les capitales européennes. »

Une inquiétude liée à la salle…

Ces précisions apportées, le rédacteur fait part d’une inquiétude on ne peut plus légitime : la salle habituelle des concerts « pourra-t-elle contenir toutes les personnes de notre ville et des communes voisines que rendrait bien malheureuses la privation des délicieuses émotions dont elles se promettent de jouir ce soir ? »

Si le rédacteur avait su ce qui allait se passer, gageons qu’il n’eût point apporter ces précisions car le samedi 3 janvier 1846 la salle n’était pas trop petite mais trop grande !

Un bide !

En effet, Franz Liszt, le pianiste virtuose le plus doué de sa génération, ne réussit pas à remplir la salle des fêtes de la mairie de Laval, laquelle, en nombre de place n’a rien à voir avec Bercy ou l’Olympia !

En gros peu de gens se déplacèrent pour écouter Liszt jouer l’Ouverture de Guillaume Tell, la Fantaisie de Robert le Diable, l’Invitation à la valse de Weber, la Tarentelle de Rossini, la Polonaise des Puritains et le Galop chromatique…

Indécrottables provinciaux

Pour expliquer ce bide honteux, L’Echo de la Mayenne évoque « la déplorable fatalité qui aurait tenu la moitié de la ville dans l’ignorance de la venue du génie ». En revanche, s’indignant de « la froide réception faite par le public à l’un des princes du monde artistique », L’Indépendant de l’Ouest s’en prend aux autochtones, à ces indécrottables provinciaux de l’Ouest qui préfèrent les choses concrètes (la terre, entre autres) aux plaisirs de l’esprit.

D’où cette tirade, qui réjouira nombre d’artistes locaux ayant, eux aussi, connu l’indifférence dans leur département de la Mayenne :  « O peuple lavallois jusques à quand seras-tu le même ? Jusques à quand resteras-tu plongé dans ton prosaïsme ? Jusques à quand seras-tu insensible aux belles notes, aux gammes harmonieuses, à la musique, aux arts ? Jusques à quand laisseras-tu passer dans tes murs, les premiers artistes de France et d’Europe sans leur faire l’accueil qu’ils méritent ? »

Lucide et philosophe

Franz Liszt fut-il déçu par l’accueil des Lavallois ? Les Paris-Match et Ici-Paris de l’époque ne nous le disent pas. En revanche, l’homme avait assez de hauteur pour prendre cet insuccès avec philosophie.

Lucide, il écrivit un jour que la publication de son œuvre « s’adressait à quelques-uns plutôt qu’à la foule, ambitionnant non le succès mais le suffrage du petit nombre de ceux qui conçoivent pour l’art une destination autre que celle d’amuser les heures vaines, et leur demandent autre chose que la futile distraction d’un amusement passager. »

A Laval, le 3 janvier 1846, la seule chose de certaine est que Liszt eut droit au « petit nombre ».

 

 

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