Les Bateaux-Lavoirs, le blanchissage flottant
Avant d’évoquer le travail pratiqué dans les bateaux, il convient de distinguer le buandier du blanchisseur.
Explications fournies par le fils d’un exploitant interviewé par l’ethnologue François-Xavier Trivière pour son maître-livre Au carrefour des eaux, bateaux-lavoirs et usage de la rivière…
« Le patron du bateau-lavoir, dit-il, son vrai métier, c’est buandier, pas blanchisseur ! La blanchisserie vient après. Le buandier, il fait la buée. C’est-à-dire qu’il fait la lessive, la buée… La blanchisserie, c’est de prendre le linge, de le laver et de le rendre propre… »
Dans Comment nos grand’mères faisaient la lessive, Madeleine Cordier décrit, elle, les étapes du lavage en bateau. La première consistait à décrasser le linge, à « l’essanger » (« l’échanger », disaient les Lavallois) avec du jus de savon ou du jus de lessive, le « lessi ».
Le lessivage
Puis venait le « lessivage », dans une énorme cuve de bois cerclée de fer, le cuvier, dans le fond duquel étaient disposés des rondins de bois en forme d’X pour faciliter la circulation de la lessive…
Sur ces rondins, on posait une toile de chanvre (la « charrié ») dans laquelle était enfermée de la cendre de bois tamisée finement, la « charrée ». On entassait le linge : draps, torchons, linges de corps… recouverts par un drap.
Couler la lessive
Il fallait ensuite faire bouillir de l’eau dans un grand chaudron de fonte posé sur un trépied de fer. Puis avec un récipient en zinc, la laveuse préposée au lessivage prenait l’eau bouillante pour arroser le linge : cela s’appelait « vouiller » ou couler la lessive.
L’eau chaude traversait le linge et la cendre en se chargeant des produits que cette dernière contenait. Elle sortait ensuite du cuvier par un trou percé à la base et s’écoulait le long d’une sorte de gouttière qui la ramenait à la chaudière où elle allait se réchauffer et servir une nouvelle fois.
Ressuer la lessive
Commencée le matin, cette opération durait la journée. Une fois qu’elle était terminée, il convenait de boucher l’orifice du cuvier et de couvrir le linge avec des sacs pour faire « ressuer » la lessive pendant la nuit.
Restait à effectuer le rinçage, qui exigeait de la main d’œuvre. Généralement « les laveuses arrivaient de bonne heure, avec leur brosse, leur battoir – le « battoué » – et leur carrosse, sorte de caisse garnie de paille destinée à protéger et adoucir le long stationnement au bord de l’eau ».
Les laveuses
Celles qui alimentaient les cuves du buandier étaient des ménagères qui venaient laver leur linge de famille. Ou des employées de chaque bateau, entre trois et cinq en moyenne, qui s’occupaient de la clientèle de blanchisserie.
« Enfin, écrit François Xavier Trivière, chaque bateau accueillait de 5 à10 laveuses professionnelles, qui se disaient « vraies laveuses » et que les patrons désignent grosses laveuses, pour l’activité qu’elles développent au bateau. »
Des brouettes à une roue
Indépendantes elles avaient une clientèle de particuliers, membres de « maisons » bourgeoises ou commerçantes. Le cycle du blanchissage s’achevait avec le séchage, le repassage et/ou le pliage…
Difficile aujourd’hui d’imaginer l’agitation qui régnait sur et autour de la Mayenne ! « Sur les quais, c’était plein de petites charrettes, il y en avait tout le long, se souvient Germaine Gary, qui tenait l’ancien bateau des Labouré ; il y avait des « civières », des sortes de brouette, avec une seule roue, et des petites voitures à bras, toutes en bois, à deux roues. »
La grande affluence ?
« C’était le lundi, le mardi et le mercredi ; le jeudi, ça diminuait ; le samedi, c’était fermé, c’était le nettoyage des cuves… »
Le travail était dur, exigeant. Surtout l’hiver, quand il fallait casser la glace et se geler les mains dans la rivière. Dans Au Carrefour des eaux, François-Xavier Trivière indique qu’une « image négative reste attachée à l’activité du blanchissage (…) Et cette image est si marquée, écrit-il en 1996, qu’aujourd’hui encore les laveuses ne sont pas toutes disposées à relater leur expérience. »
La langue dans la poche
Et pourtant, à la grande époque, c’est peu dire que les laveuses n’avaient pas leur langue dans la poche. « Ah, ça jacassait ! indique Madeleine Gary. Et les nouvelles faisaient le tour de la ville ! »
Des propos certifiés par le fils d’un ancien buandier, Marcel Bazillier, à feu Roger Gicquel pour une émission de FR3 : « Quand j’étais sur l’bateau, y’avait pas besoin de vot’journal télé pour être au courant de tout ce qui se passait ! »