Jean et Geneviève Pillon à l'Hôtel de Paris
De 1940 à 1972, Jean et Geneviève Pillon vont tenir l’Hôtel de Paris et offrir à leur petit-fils Vincent Bouvet des tonnes de souvenirs qu’il a tenu à nous transmettre dans un livre attachant paru en 2003…
Jean Pillon
Bien que souhaitant devenir ingénieur des arts et métiers, Jean Pillon, le troisième et dernier fils d’Ernest et de Jeanne, reprend l’hôtel dans les années trente. « Il n’avait pas osé dire non à son père, indique sa pétillante épouse, une Parisienne originaire de Charentes dont la personnalité dynamique et sympathique fut pour beaucoup dans le succès de l’établissement.
Devenu chef en 1936, après une formation à l’école hôtelière de Thonon, Jean Pillon est en mesure de confectionner des spécialités qui ne laissaient insensibles aucun gourmet : les Quenelles de brochet en brioche, le Gratin de fruits de mer à l’Armoricaine, le Turbot soufflé, le Jambon de Craon en croûte au porto…
Hitler plus grand que Napoléon
Recueilli par Vincent Bouvet, son témoignage évoque les grands événements ayant marqué l’Hôtel de Paris. A commencer par l’arrivée des Frisés qui survint en 1940 et démontra que Geneviève Pillon avait aussi du répondant et le sens du théâtre. « Quelques jours après l’arrivée des Allemands, un officier ayant dit à mon épouse : Hitler plus grand que Napoléon, s’entendit répondre d’un air innocent : En effet, Napoléon était tout petit. »
Fourmillant d’anecdotes, la période 1940-1972 évoque aussi le bombardement de juillet 1944 et la reconstruction de l’hôtel… dix ans plus tard. Elle livre également des traits concernant le caractère des vedettes reçues par les Pillon. Car il faut savoir qu’étant une adresse hautement réputée, l’Hôtel devint une étape obligée pour les personnalités se rendant en Bretagne ou venant jouer sur la scène du Théâtre municipal…
B comme Bechet, Brassens et Brel
A ce sujet, Jean Pillon se souvenait avoir vu, gamin, la grande Sarah Bernhardt, « qui possédait une villa à Belle-Ile et coupait le trajet en s’arrêtant à Laval ». Sa particularité ? Elle apportait avec elle ses draps noirs, ainsi que son cercueil (qui, lui, l'attendait dans sa voiture).
En 1937, voulant garder trace de tous ces passages, l’hôtel ouvre un livre d’or qui survivra au bombardement de juin 1944. Aujourd’hui propriété de l’hôtel, ce document regorge de noms célèbres de la littérature (Roger Peyrefitte, Guy des Cars…), politique (Herriot, Pompidou…), du jazz (Bechet, Grappelli…), de la chanson (Tino Rossi, Luis Mariano, Brel, Brassens, Hallyday…), du gotha (Otto de Habsbourg…)
Un Trénet imbuvable
Mais ce livre regorge aussi de petits mots charmants à l’adresse de Jean et Geneviève. Deux exemples parmi vingt : On ne saurait être mieux que chez soi, aussi quel plaisir de se retrouver chez soi… à l’Hôtel de Paris (Raymond Soupleix) ; Il ne faut pas manger pour vivre mais vivre pour manger à l’Hôtel de Paris (Géo Ham).
Dans la plupart des cas, ces vedettes étaient plutôt sympathiques mais il arrivait qu’elles fussent relativement pénibles... Comme le Fou chantant, par exemple, qui, pendant l’Occupation, prit fort mal de devoir se contenter d’un en-cas au retour d’un spectacle : « Alors que Moa, Charles Trenet, je consens à venir de Paris distraire les populations locales ! »
Mais ce prétentieux au regard d’illuminé eut droit à sa punition : il s’abîma son (précieux) fessier en tombant dans l’escalier de pierre…
Le Président Coty
Autre événement cité : le mariage de la fille du docteur Barrier avec le neveu de René Coty, alors président de la République ("Notre Raïs à nous", comme le dit sans cesse au cinéma OSS 117 dans ses aventures égyptiennes). Pour réussie qu’elle soit, cette noce révéla le caractère pète-sec de la Présidente…
Explications de Geneviève Pillon : le jour du mariage, le père de la mariée ignorant que René Coty était au régime, demande de faire goûter le vin au Président. Ce que n’apprécie pas du tout la Présidente qui, d’une voix peu aimable, dit à Geneviève Pillon : « J’interdis qu’on serve du vin au Président ! »
Et l’hôtesse de répondre : « Madame, j’obéis au père de la mariée ! » Lequel était ce jour-là, le seul client de l’Hôtel de Paris…
Le Club des 500
D’autres anecdotes ont trait aux spectacles qui avaient lieu dans la grande salle de 500 places de l’hôtel et en particulier ceux qu’organisait le Club dit des 500. Ces spectacles permirent d’apprécier au meilleur de leur forme des chanteurs comme Charles Aznavour et Gilbert Bécaud, ou encore le roi du saxophone soprano Sidney Bechet, lequel nous fournit la dernière indiscrétion de cet article...
En voyant le père de Petite Fleur boire un verre d’eau au cours d'un concert endiablé, Geneviève Pillon s’aperçoit qu’il avait les lèvres en sang ! « Mais que vous arrive-t-il donc M. Bechet ? – Oh, en vous inquiétez pas Mme Pillon, c’est tous les soirs comme ça ! »
Une chose est sûre : quand on feuillette le livre de Vincent Bouvet on sait que ses grands-parents Pillon ne se sont pas ennuyés dans leur vie commune à l’Hôtel de Paris.