Les armoires de toilette
En mars 1999, je fis paraître plusieurs articles concernant des créateurs d’entreprise qui avaient décidé de s’installer dans la ZRU – Zone de Redynamisation Urbaine – de Saint-Pierre-Thomas. Un papi attira mon attention, un certain Bernard-André Fourreau qui décida de jouer les Prosper Rossignol en concevant, fabriquant et commercialisant des armoires de toilette. Après 33 ans de métier dans les assurances, ce bricoleur exceptionnel s’était enfin laissé tenter par sa passion et les avantages de la ZRU en créant, à 57 ans, une SARL qui, hélas, ne durera que le printemps…
Ce type avait une bonne gueule et il avait apprécié ma pièce de théâtre Appelle-moi papa. Je l’interviewais dans son local tout en sachant qu’il aurait un mal fou à vendre ses armoires de toilette qu’aucune grande surface ne pouvait référencer (évidemment, il les fabriquait lui même, comme un artisan !) Son entreprise était vouée à l’échec mais le personnage avait une bonne tête– je le répète - et aimait ce qu’il faisait. C’est pourquoi, non seulement il eut droit à un article mais en plus à la couverture du Laval Infos de mars 1999.
Pierre-Auguste Renoir
En évoquant ce monsieur (que j’ai revu plusieurs fois en ville se promener avec un loden kaki), j’ai pensé à Renoir qui aurait sans doute apprécié son travail si j’en crois le petit texte que j’avais fait passer dans le Laval Infos n° 34 (décembre 1998) : Le plus grand reproche que Pierre Auguste Renoir faisait au « progrès » était d’avoir substitué la fabrication en série à la fabrication individuelle. Un objet, même d’usage courant, écrit son fils Jean, ne l’intéressait que s’il était l’expression de l’ouvrier qui l’avait fait…
A partir du moment où cet ouvrier devenait une foule, dont chaque membre était spécialisé dans une opération, cet objet aux yeux de Renoir devenait anonyme. « Ca n’est pas naturel. Un enfant ne peut pas avoir plusieurs pères. Tu vois d’ici un gosse dont les oreilles seraient dues à la fécondation de l’un, les pieds à un autre germe, son esprit venant d’un intellectuel et ses muscles d’un lutteur. Même si chaque partie était parfaite ce ne serait pas un homme mais une société anonyme, autant dire un monstre. »
Et Jean Renoir de conclure : Renoir pensait que la science avait failli à sa mission en ne luttant pas pour l’expression de l’individu mais au contraire en se mettant au service d’intérêts mercantiles et en favorisant la production en série. Je sais tout ce qu’un petit texte comme celui-là peut avoir de décalé par rapport aux objectifs économiques d’aujourd’hui. Il n’empêche que si je l’ai casé dans Laval Infos et, ce jour, dans ce récit, c’est parce que je trouve qu’il n’a pas perdu une once de sa vérité…