Le sourire de Ségo, la star de Guillaumette
L’Empire du Bien a ses personnages emblématiques, que Philippe Muray n’hésitait jamais à brocarder dans ses articles. Parfois, il envoyait juste un coup de griffe qui laissait toutefois une trace indélébile sur la peau dudit personnage, lequel ne l’avait point volé ! Mais parfois il lui arrivait de consacrer à tel phénomène un article entier. C’est ce qu’il fit en septembre 2004 pour l’inénarrable Ségolène Royal, dans un portrait hautement savoureux intitulé Le sourire à visage humain qui sera publié dans L’Imbécile puis, l’année suivante, dans Exorcismes Spirituels IV (Les Belles Lettres).
Si je l’évoque sur ce site c’est bien sûr parce que Guillaumette, le maire-des-Lavallois-qui-ont-voté-pour-lui-en-mars-2008, est le bras droit, le père Joseph, le contremaître, le collaborateur principal de cette femme qui, depuis ses débuts en politique avec Tonton le fourbe, se verrait bien à l’Elysée, elle et son sourire « qui a libéré le Poitou-Charentes en l’arrachant aux mains des Barbares ».
Pour vous donner envie, ami lecteur, de lire ce cher Muray, voici deux extraits de cet article qui fit l’objet d’un petit livre à part publié au moment de la présidentielle 2007, quand Ségo se retrouva au second tour contre le petit Nicolas. Un duel si palpitant qu'il... conduisit nombre de citoyens (je fus l'un d'eux) à aller à la pêche le jour du scrutin (comment leur en vouloir ?)
« Notre époque ne produit pas que des terreurs innommables, prises d’otages à la chaîne, réchauffement de la planète, massacres de masse, enlèvements, épidémies inconnues, attentats géants, femmes battues, opérations suicides. Elle a aussi inventé le sourire de Ségolène Royal. C’est un spectacle de science-fiction que de le voir flotter en triomphe, les soirs électoraux, chaque fois que la gauche, par la grâce des bien-votants, se trouve rétablie dans sa vérité transcendantale. On en reste longtemps halluciné, comme Alice devant le sourire en lévitation du Chat de Chester quand le chat lui-même s’est volatilisé et que seul son sourire demeure suspendu entre les branches d’un arbre.
On tourne autour, on cherche derrière, il n’y a plus personne, il n’y a jamais eu personne. Il n’y a que ce sourire qui boit du petit-lait, très au-dessus des affaires du temps, indivisé en lui-même, autosuffisant, autosatisfait, imprononçable comme Dieu, mais vers qui tous se pressent et se presseront de plus en plus comme vers la fin suprême.
(…) Je souris partout est le slogan caché de ce sourire et aussi son programme de gouvernement. C’est un sourire de nettoyage et d’épuration. Il se dévoue pour en terminer avec le Jugement terminal. Il prend tout sur lui, christiquement ou plutôt ségolènement. C’est la Dalaï-Mama du IIIe millénaire. L’axe du Bien lui passe par le travers des commissures. Le bien ordinaire comme le Souverain Bien. C’est un sourire de lessivage et de rinçage. Et de rédemption. Ce n’est pas le sourire du Bien, c’est le sourire de l’abolition de la dualité tuante et humaine entre Bien et Mal, de laquelle sont issus tous nos malheurs, tous nos bonheurs, tous nos événements, toutes nos vicissitudes et toutes nos inventions, c’est-à-dire toute l’Histoire. C’est le sourire que l’époque attendait, et qui dépasse haut la dent l’opposition de la droite et de la gauche, aussi bien que les hauts et les bas de l’ancienne politique. »
Bien vu, non ? Et finement écrit, comme d’habitude.