Une grande dame : Madame Cormerais (1906-1981), alias "Mamie Coco"
Beaucoup de "vieux" Lavallois se souviennent encore de Madame Cormerais (1906-1981) qui, en 1949, à la mort de son mari Henri, dirigea de longues années feu la quincaillerie Cormerais-Blu, avec Georges et Madeleine Blu puis avec son fils Jacques Cormerais (1937-1999).
Voici quelques souvenirs très personnels concernant cette grande dame...
Agnès Périer
Originaire d'Hardanges, un minuscule village du Nord Mayenne, ma grand-mère maternelle vécut une jeunesse particulière…
Elle avait vu le jour le 25 février 1906 dans une famille de neuf enfants – dont trois moururent en bas-âge - mais fut élevée, dès qu'elle eut 4 ans, en fille unique par (et chez) son oncle et sa tante Mesnil qui n'avaient pu donner la vie et vivaient tous les deux dans le gros bourg voisin de La Chapelle-au-Riboul, auprès duquel Hardanges faisait figure de "trou du cul du monde", selon l'expression consacrée.
En quelque sorte, Agnès, contrairement à ses frères et soeurs, devint "une fille de la ville", une "grande dame"...
Leur maison était située devant celle des Rouzières dont le fils prêtre, Henri, jouirait quelques années plus tard - et ce jusqu'à sa mort en 2011- d'une grande estime auprès de nombreux catholiques de Laval...
A 28 ans Agnès Périer épousa Henri Cormerais, un représentant de commerce très efficace qui oeuvrait pour une quincaillerie dirigée par un dénommé Delière, le grand-père d'une femme fort sympathique que je rencontrerai par hasard en 2007 quand j'eus la chance de rédiger l'historique des centres E. Leclerc de Laval : Michelle Morillon, née Oger qui - incroyable mais vrai ! - avait eu ma grand-mère comme marraine !
Parmi ses fidèles clients, le jeune Henri comptait un certain Mesnil, charron de son état et doté d'un caractère particulièrement irascible depuis qu'il était revenu trépané de la Grande guerre - celle de 14-18…
Henri Cormerais (1902-1949)
C'est chez ce Mesnil que mon grand-père Henri tomba sous le charme de ma grand-mère...
Il lui offrit un yoyo et ne manquait jamais de la complimenter sur sa manière d'en jouer. Il voulait « la » Agnès et il l’obtint. De cette union joyeuse (1934), quatre enfants naquirent dont seul l'aîné, mon parrain Jacques Cormerais, est aujourd'hui décédé (en 1999).
Après son mariage, Henri reprit la maison Delière, laquelle lui avait fait cadeau de son fonds. Puis il s'associa avec un certain Georges Blu pour fonder, quai Jehan-Fouquet (et rue du Val-de-Mayenne), la quincaillerie Cormerais-Blu aujourd'hui disparue.
Veuve à 43 ans
Henri et Agnès vécurent heureux rue du Val-de-Mayenne dans une maison qui existe toujours et qui était située au-dessus de la quincaillerie.
Ils vécurent heureux jusqu'au lundi 11 février 1949 très précisément...
Trois jours auparavant, dans un accident de la route, mon grand-père eut neuf côtes fracturées dont l'une lui perforera le foie, à cause des bandages trop serrés que le corps médical lui avait posés (le traitement de l'époque !).
Le conducteur du véhicule était un employé de la quincaillerie, un certain Fernand Busson. Ma grand-mère, qui avait rêvé la nuit précédente de cet accident, avait absolument tenu à être du voyage ; elle était assise à l'arrière avec Monsieur Lassoudry.
Ce 11 février, avant de fermer définitivement les yeux, Henri dit quelques mots à son fils Jacques, 12 ans, qui était pressé de se rendre à la messe des louveteaux. " Mais il est encore trop tôt, Jacques…"
Ce furent ses dernières paroles.
Ce grand lecteur dut aussi interrompre le livre qu'il dévorait alors, un « best-seller » écrit par le russe Kravchenko et qui en disait long sur l'ignominie communiste (eh oui déjà, avant Soljenitsyne !) : J'ai choisi la liberté.
Pourquoi cette anecdote ? Pour évoquer la passion de mon grand-père Henri pour les livres qu'il achetait alors "au kilo" et qu'il faisait ensuite relier.
C'est la raison pour laquelle, enfant, je contemplais religieusement, dans le petit salon qui faisait office de bibliothèque, des dizaines d'ouvrages en cuir qui réunissaient les oeuvres - le plus souvent complètes - de tout le gratin de la littérature française d'avant la Seconde guerre mondiale : Balzac, Zola, Dumas, Baudelaire, Jules Verne, Chateaubriand, Voltaire, Hugo, Rousseau…
Combien d'heures ai-je passées devant ces ouvrages que je contemplais longuement avant d’en feuilleter quelques-uns avec le plus de soins possible ? J'ai encore l'odeur du cuir et du papier dans le nez...
Heures merveilleuses durant lesquelles je contemplais également par la fenêtre donnant sur la rue le très beau saule-pleureur que ma grand-mère dut couper car ses racines pompaient l'eau des voisins...
Mais revenons à ce grand-père qui a fortement marqué ma jeunesse car son portrait en noir et blanc trônait, encadré, sur plusieurs murs de la maison de ma grand-mère et en particulier sur celui de la salle à manger.
Examinons-le justement, ce portrait...
Papi Cormerais avait la «bouille » d’un Français de l'entre-deux-guerres avec les petites moustaches carrées qu’Hitler a rendu très impopulaires ; il avait la corpulence de l’auteur du Martyr de l’obèse, mon cher Henri Béraud, des sourcils broussailleux et un regard noir qui savait se faire respecter de ses enfants et salariés.
Maman m'a souvent parlé de son autorité naturelle mais aussi de sa gaieté et de son amour pour sa femme et pour sa jeune sœur, la « Tante Valérie », qui décéda à vingt-six ans d'une tuberculose "à la suite d'une rougeole rentrée". Nous allions, une fois l'an, lors de la Toussaint, au cimetière Vaufleury, nous recueillir sur sa superbe tombe blanche, que mon grand-père avait payée en cassant sa tirelire…
Je trouvais ce geste élégant et conforme à l'image que j'avais de lui.
En clair, et bien qu’il fût mort seize ans avant mon arrivée, mon grand-père fit partie de ma jeunesse. Et son portrait, depuis vingt-cinq ans, est à cinquante centimètres de mon ordinateur...
Domestiques chez l'ambassadeur de Russie
Maman me parlait aussi parfois de ses grands-parents Cormerais, qui avaient terminé leur vie professionnelle en tenant un bar-tabac à Laval, dans la rue qui porterait un jour le nom du résistant de droite - fusillé par les nazis - Bernard Le Pecq.
Elle ne se souvient pas de son prénom (excusable : elle ne l'a pas connu) mais a retenu en revanche que son grand-père Cormerais avait été domestique chez l'Ambassadeur de Russie et placé toutes ses économies dans les fameux emprunts que la Révolution d'octobre 1917 rendit caducs…
Un fait d’histoire qui revenait très souvent.
N'en parlez pas aux psys...
Récemment, alors que je l'interrogeais sur sa prime jeunesse, Maman m'apprit qu'elle avait héritée gamine de la poupée de sa tante Valérie qu'icelle avait habillée tout en noir quand elle avait vingt ans, l'année où sa tuberculose se déclara. N'importe quel psy d'aujourd'hui blâmerait ce genre de cadeau qui, non seulement, évoquait une disparue (« Pas bien ! ») mais, en plus, faisait référence à la mort, le tabou des tabous dans la France d'aujourd'hui….
Et que dire d'un frère qui souhaitait que la tombe de sa sœur fût la plus belle possible ! ("Pas bien du tout !") N’est-ce pas porter à la mort un goût maladif ?
Et que dirait ce psy d'aujourd'hui – encore lui - en apprenant que le soir de la mort de son père, la petite Marie-Paule Cormerais, 11 ans à l'époque, dormit dans le lit de ses parents, à la place que le défunt n'avait point quittée pendant ses trois jours de souffrance…
Non ? Si !
« Tu dois coucher avec ta maman ! », lui avait recommandé Madame Blu, la femme de l'associé de mon grand-père, qui travaillait également dans l’affaire.
Ce psy d'aujourd'hui – toujours lui ! – dirait certainement que ma mère avait tout pour être anormalement angoissée dans la vie… Et il aurait, cette fois, cent fois raison.
Tradition oblige : les quatre enfants Cormerais porteront le deuil deux années durant et leurs dimanches seront rythmés par un tiercé aujourd’hui peu prisé par les Français dans la peine : messe du matin, vêpres et sortie au cimetière.
Scolarisée à « Saint-Etienne », rue des Ridelleries (où est aujourd’hui la « P'tite Immac »), ma mère passera ses deux parties de bac avant de devenir enseignante à l'Immaculée Conception de 1960 à 1961. Bien que bonne élève, elle ne sera pas à même de faire des études supérieures, ma grand-mère préférant la garder près d'elle, à Laval.
Et ma mère obéit...
Mamie Coco
Ma grand-mère hérita d'un surnom que je lui donnai étant gamin : Mamie Coco.
Etait-ce parce que cette fille de paysans ressemblait à Mademoiselle Chanel ? Nenni ! Agnès Cormerais était aussi forte que la modiste était menue, modiste dont j'ignorais l'existence à l’époque.
La raison était culinaire : ma grand-mère m'avait servi des œufs à la coque un jour que je déjeunais dans sa maison de la rue du Parc-de-Beauregard !
A quoi tiennent les surnoms...
Oui, Mamie Coco était forte physiquement, très forte même et se déplaçait avec peine. Toute promenade lui était interdite et je ne me souviens pas de l'avoir vue marcher plus de trente mètres en dehors de chez elle, en ville ou dans les bois. Les seules distances qu'elle parcourait étaient celles que la voiture de son chauffeur du jour ne pouvait assurer : la traversée d'une cour ou d’un jardin, ou, chaque dimanche, la montée des marches pour accéder à l’église des Cordeliers…
Mais, malgré sa corpulence, Madame Cormerais, Mamie Coco restait une femme distinguée…
Pourquoi ? Parce qu'elle portait, été comme hiver, un corset lui permettant de se tenir droite en toutes circonstances. Quand on la voyait, on disait : « Voilà une femme forte !» et non « Quelle grosse dondon ! »
Bien sûr - c’est la vie !, il y avait parfois des sourires en coin, des chuchotements gênés ou autres remarques qu'on imaginait peu flatteuses, j'en ai été le témoin plusieurs fois, lors de messes à Notre-Dame d’Avesnières notamment (eh oui, la charité chrétienne n'est pas toujours pratiquée par ceux qui y sont – théoriquement – les plus attachés…).
Une grande dame
Je sais que, dans sa jeunesse "cloîtrée" à Laval, ma mère a beaucoup souffert d'avoir une mère de ce format.
Personnellement, mon admiration pour ma grand-mère était trop grande pour que je m’arrêtasse à ce genre de détail.
Mamie Coco avait été heureuse en ménage et donné vie à quatre enfants plutôt intelligents ; elle gagnait assez d'argent pour inviter ses proches à déjeuner et les combler de présents le jour de Noël ; malgré son veuvage elle était gaie du matin au soir et ne manquait ni de bon sens ni d'humour ni d’autorité ; elle était respectée de tout le monde.
A sa manière, c'était une grande dame.
Ce que j'appréciais chez elle, c'est qu'elle en imposait. Et – surtout - qu’elle restait la même quel que fût son interlocuteur. Elle n’était pas de ceux qui changent de comportement en fonction de la « surface sociale » des gens qu’ils ont devant eux. Ainsi, qu’elle soit face à un patron, un curé ou un représentant de la grande famille des « blessés de la vie », elle restait Agnès Cormerais.
Elle était aussi - elle était surtout - très généreuse, y compris avec les pauvres.
En revanche, elle n'aimait pas prêter, ses livres notamment, qui ne quittaient jamais les rayonnages de sa bibliothèque…
Pour être honnête, j’ai appris à apprécier cette grand-mère d’exception lors d'un premier de l'an que nous passâmes ensemble, à [...] chez [...], les derniers jours de 1973 et les premiers de 1974.
Le soir du réveillon, notre hôte au caractère pour le moins marqué, trouvant les programmes de télévision complètement débiles, avait, d'autorité, éteint le poste ; Mamie et moi nous étions alors retrouvés dans notre chambre commune : « Quand même, il exagère [...] ! me dit-elle. Nous faire coucher à c't'heure là un 31 décembre…"
Et nous rîmes de bon cœur de cette soirée avortée…
Nos excellentes relations datent de ce séjour à [...]
Merci à mes hôtes, que je vois si peu depuis le mitan des années 80 (pour des raisons politiques : leur gauchisme me tape sur les nerfs).
Rue du Parc-de-Beauregard
Après avoir longtemps habité rue du Val-de-Mayenne (où se situait la quincaillerie), ma grand-mère, une fois veuve , déménagea rue du Parc-de-Beauregard dans une maison dont le jardin offrait une vue de Laval qui comprend, entre autres, la rivière La Mayenne et, de l'autre côté du pont de l'Europe, l'ancienne maison de mes parents.
Théâtre de nos fêtes familiales (Noël, entre autres), cette demeure fut vendue en 1982 à une Lavalloise ayant épousé un Anglais et j'en ressentis une (légère) tristesse qui se réveille chaque fois que je passe dans le quartier [...]
Si je devais un jour gagner une somme énorme, j'achèterais cette maison…
Garde malade...
Quelques années plus tard, en 1980, alors que je préparais mon baccalauréat Philosophie-Lettres, je passai plusieurs nuits rue du Parc-de-Beauregard. Mamie Coco était en « très petite forme » et son état nécessitait une surveillance de nuit que son employée de l'époque, Madame [...], ne pouvait assurer.
Il fallait à tout prix éviter qu'elle ne connût une seconde fois le calvaire déjà enduré la nuit où, tombée dans sa salle de bain, elle avait été incapable de se relever ni même de se traîner jusqu'au poste de téléphone. Le surpoids l’avait condamnée à attendre qu’on vienne la relever…
Que ma grand-mère ait pu passer sept heures, à demie nue, couchée sur le sol glacial de sa salle de bain m'avait donné une vocation de garde-malade et l’envie d'aller dormir chez elle cinq nuits par semaine.
Je conserve de ce séjour des souvenirs délicieux car, après un bon repas et un bon film à la télévision (à l’époque ce n’était point chose rarissime), nous terminions nos soirées par une discussion dans sa chambre, au fond, à gauche. Souvent, nous passions en revue l'actualité des membres de la famille et évoquions les petits sujets qui font le charme de la conversation.
"Lorsque l'enfant paraît"
Je me souviens aussi d'avoir vu au moins un "Au théâtre ce soir" avec elle, une pièce de boulevard signée du très en vogue – mais aujourd’hui oublié - André Roussin : Lorsque l'enfant paraît…
On s'attend à ce que la jeune fille de la maison annonce un « heureux événement » à la mère et c'est finalement cette dernière qui a un polichinelle dans le tiroir ! Pour l'époque, la pièce sentait (quelque peu) le soufre mais pas chez Agnès Cormerais qui a beaucoup ri en la regardant.
Ne pouvant se déplacer pour aller au spectacle, Mamie raffolait du boulevard à la télévision, comme des millions de Français.
Autres souvenirs télévisuels : pour éviter à ma téléspectatrice de grand-mère de se lever pour changer de chaîne ou monter le son, ses enfants lui offrirent une télécommande.
Ce procédé venait d'être inventé pour les handicapés, on connaît, depuis, son succès auprès des gens valides…
Mamie Coco fut aussi la première de la famille à s'acheter une télé couleur et je me souviens d'avoir vu chez elle, en famille, les trois « épisodes » de Sissi impératrice, qui arrachèrent des larmes à mon oncle Jacques, grand sensible devant l'éternel. En Sissi ou en catin (Max et les ferrailleurs), Romy m'a toujours emballé…
Côté repas, je me souviens aussi d'un samedi soir où, seul avec elle nous avions invité Madame Blu à dîner.
Mamie avait elle-même préparé – et divinement - des ris de veau en les recouvrant de farine avant de les faire poêler. Hum… Ayant fait savoir très clairement que j’étais très porté sur ce genre de plat (que j'avais dégusté une fois, une seule), je pensais que mes commensales plutôt âgées se contenteraient de deux petites portions et me laisseraient la plus grosse part de ce mets délicieux.
Mais c'était sans compter sur l'appétit de Madame Blu, qui s'est servie avant moi – rien d'anormal à cela – mais si copieusement que j'eus une part bien décevante pour le bâfreur que j'étais…
Saleté de cancer...
En novembre 1981, six mois après l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, les derniers jours de Mamie Coco furent douloureux pour elle et tragiques pour nous tous. Douloureux parce que son cancer – trop tardivement identifié - la faisait souffrir le martyre. Tragiques parce qu'elle souhaitait s'éteindre chez elle, rue du Parc-de-Beauregard et non à Saint-Elisabeth, l’ancienne maternité transformée en mouroir avant de disparaître elle aussi.
Ses enfants n'ayant pu exaucer cette ultime demande à cause des soins que son état exigeait, ma mère se le reprochait tous les jours...
Une belle messe
Mes retours à Laval [j'étais étudiant à Paris] étaient d'autant plus morbides que l’un de mes meilleurs amis de l’époque (...], alors âgé de 19 ans, était, lui aussi, entre la vie et la mort à l'hôpital d'Angers. Une maladie peu connue et qui était apparue avec une poussée de boutons dans le dos, si mes souvenirs me sont fidèles.
Dieu merci, il s'en remit quelques mois plus tard.
Mais ne put le dire à ma chère grand-mère dont la messe d'enterrement eut lieu à Notre-Dame-des-Cordeliers où elle avait ses habitudes et où j'ai les miennes depuis le retour de la messe en latin (le motu proprio dit 777 - 7 juillet 2007).
Ce qui m'a le plus touché lors de cette messe ?
Voir que l'église, bondée, était surtout garnie de "sans grades", de ces « gens sans importance » chantés par Yves Duteil.
Pas de notables, des gens simples. La classe, en fait.
Tous aimaient et respectaient Madame Cormerais, qui avait un cœur d'or.
Ce que la découverte de ses comptes bancaires personnels permettra de confirmer : Mamie Coco donnait beaucoup à quantité d’associations dites humanitaires.
Une chose est sûre, je n’ai jamais connu de ma vie une douleur aussi vive qu’au moment où les employés des pompes funèbres ont mis le cercueil dans le caveau où l'attendait son mari depuis 1949…
C'était aussi mon premier deuil...
J'ai près de mon bureau une photo d'identité de Mamie Coco que je regarde chaque jour plusieurs secondes. J'espère qu'elle a trouvé « là-haut » la place qu'elle mérite d'avoir à mes yeux.
Souvent, je la revois dans sa salle à manger, accoudée au buffet où elle téléphonait à ses enfants, le soir principalement, pour meubler sa solitude écrasante et injuste. Je revois son sourire dont a hérité l'une de mes tantes [...].
Je l'entends aussi chanter dans son lit la nuit pour se tenir compagnie, Ramona ou Les Roses blanches. Deux tubes que je n’écoute jamais sans penser à elle.
Je la revois aussi ouvrir son porte-monnaie pour nous distribuer quelques pièces parce que maman lui a dit que nous avons été gentils dans la semaine. Je la revois dans la même position, à l'église, au moment de la quête où sa générosité trouvait toujours l'occasion de s'exprimer dans les corbeilles en osier.
Je la revois m'offrir des pâtes de fruits et des nougats qu'elle avait rapportés de Bourbonne-les-Bains où elle allait en cure tous les ans.
Je la revois, courant janvier, écrivant des dizaines de cartes de vœux de sa belle écriture soignée et fort lisible…
En passant par le Nord-Mayenne...
En 1990, quand j'ai écrit ma première pièce, En passant par le Nord-Mayenne rebaptisée – par ma femme, pour des « raisons marketing » - Appelle-moi papa !, j'ai tenu à rendre hommage au bon sens paysan de ma grand-mère et à certaines de ses expressions en patois.
C'est en effet en pensant à elle que j'ai créé le personnage de la petite bonne envoyée chez les Labruze par l'agence intérimaire Manpower et dont la particularité essentielle est d'être originaire du Nord Mayenne.
De La Chapelle, bien sûr !
Chacune de ses répliques évoque ma grand-mère et indique d'où je viens…
Il ne faut jamais oublier d'où l'on vient. Jamais !
En ce qui me concerne - vive la diversité de mes quatre grands-parents ! - je viens de Maisoncelles, d'Hardanges, de Louverné et, bien sûr, de Laval, qui a ma préférence.
Dernière information (à l'intention d'une lectrice de ma famille qui me posait la question) : ma grand-mère accueillit chez elle ses parents adoptifs, les Mesnil, lesquels passèrent rue du Val-de-Mayenne les trois dernières années de leur vie. Ils moururent l'un et l'autre à quelques mois de distance la même année que mon grand-père Henri, en 1949.