Quatre Lavalloises brimées
Certaines Lavalloises célèbres n'eurent point le bonheur comme compagnon d'existence. En voici quelques-unes qui eurent à subir tracasseries et vexations...
Jean-Pascal Lefebvre
Il était une fois un historien du Vieux-Laval, Jean-Pascal Lefebvre qui, avant de nous quitter en 1999, aimait à collecter des informations sur des sujets étonnants pourvu qu’ils fussent en rapport avec sa ville préférée.
Les « Lavalloises brimées » furent l’un de ceux-là, qu’il évoqua lors de deux conférences et, en janvier 1998, pour Laval Infos. Quinze Lavalloises étaient au programme, en voici quatre dont le destin mérite d’être divulgué…
Charlotte Jarry
Très liée à son littérateur de frangin, Charlotte Jarry possédait avec ce dernier un appartement au 3e étage du numéro 13 de la rue Charles-Landelle. « Elle contribua à faire de Jarry ce qu’il a été », indique Jean-Pascal Lefebvre. Car il n'y eut pas entre eux que des liens affectifs, il y eut aussi des affinités littéraires : c'est Charlotte qui, par exemple, a terminé La Dragonne…
Il y eut aussi - hélas ! - des liens moins nobles : alcooliques tous les deux, ils prirent nombre de cuites en famille et durent toujours, bras dessus bras dessous, gérer leurs dettes avec des procédés habiles…
Bref, ces deux-là étaient inséparables. Jusqu’en 1907, date de la mort d’Alfred. Dès lors Charlotte est effondrée et ne s’en relèvera jamais. Outre qu’elle continue de lever le coude plus que de raison, il lui faut éponger les dettes familiales, devoir qui la laissera rapidement sur la paille…
Poivrote et fauchée, elle subsistera jusqu’à sa mort, en 1927, en exerçant mille métiers mille misères, principalement « femme de ménage à temps partiel ».
Marguerite Boisbluche, battue puis bannie
En 1709, une disette va être à l’origine d’une mémorable émeute de femmes, place du carrefour aux Toiles. «Cette année-là, l’hiver est froid, la récolte précédente a été mauvaise, les femmes sont affamées.»
Incapables d’assurer l’intendance pour elles et leurs enfants, nombreuses sont celles qui, considérant n’avoir plus rien à perdre, se révoltent ouvertement. Menée par Marguerite Boisbluche, qui, au son d’une clochette, crie le jeudi 4 avril 1709: «Tous au marché au blé!», l’émeute durera trois jours.
Puis les autorités y mettront fin. Brutalement. Férocement. «Marguerite et deux autres femmes seront arrêtées, battues sur la place du Marché en question, puis bannie du comté.»
Après avoir dû se promener en ville, les épaules nues, avec une pancarte autour du cou portant l’inscription: «Perturbatrice du repos public.»
Zezette
Citée dans l’ouvrage de Georges Lebreton, Le Refus du Destin, l’histoire de Zezette fait frémir… Car c’est celle d’une femme qui, pour avoir couché avec l’Occupant, fut tondue à la Libération de Laval le 7 ou le 8 août 1944. Le hic c’est qu’elle faisait alors partie d’un réseau local de la Résistance…
Secrétaire à l’aérodrome, elle avait reçu l’ordre de se procurer les plans de ce dernier en utilisant son charme auprès des Allemands… Mais son appartenance à la Résistance ne fut pas rendue publique le jour où il aurait été utile qu’elle le fût…
D’après Jean-Pascal Lefebvre, «personne n’a jamais revu Zézette», et, plus grave, «personne ne l’a jamais réhabilitée auprès de la population lavalloise.»
C'est chose faite !
Maryvonne Rosse et le parti des femmes
Cette grande demoiselle au physique pour le moins austère arrive au conseil municipal en 1941 grâce, en quelque sorte, au maréchal Pétain qui «souhaitait, au nom des valeurs de sa célèbre trilogie, que les femmes participent aux conseils municipaux».
Infirmière de formation, Maryvonne n’a rien d’une rosse c’est pourquoi le maire de l’époque, Adolphe Beck, la charge des questions sociales, poste qu’elle conservera jusqu’en 1971.
Pendant trente ans, elle est l’une des élus les plus populaires de Laval ! Cette popularité lui vient en grande partie du secteur qui était le sien: « Elle connaissait tous les cas sociaux lavallois et s’en occupait d’une façon que l’on qualifierait aujourd’hui de clientéliste. »
Mais si cette figure lavallois a connu les honneurs de son vivant (reconnaissance des électeurs et plusieurs décorations à sa boutonnière), elle est décédée dans l’indifférence générale, durant l’été 1995, François d'Aubert regnante.
Toutefois, si Jean-Pascal Lefebvre choisit de la mettre dans sa liste des femmes brimées c’est à cause de la place que son sexe occupait au sein du conseil municipal de Laval.
En 1965 par exemple, quand Francis Le Basser installe son nouveau – et dernier – conseil municipal, les hommes se regroupent par affinités politiques (UNR, MRP et CNI) et les femmes, elles, demeurent côte à côte et forment… le groupe des femmes ! Alors que chacune d’elles appartient à l’un des trois partis précités !
Il va de soi que ce genre de ségrégation s’apparentait, pour Jean-Pascal Lefebvre, à une brimade…