Merci Philippe Muray !
Pour dénoncer cette montée en puissance de l’indifférenciation, du Tous pareil devant sa télévision et ses écrans plats, ces transformations qui, chaque jour, apportent un nouveau dont on se passerait volontiers, j’ai placé, dès 2003, des petits textes du grand écrivain français Philippe Muray (décédé en 2006), lequel a passé les dix dernières années de sa trop courte vie (60 piges, cancer foudroyant) à scruter l’évolution de notre nouvelle société, du nouveau monde. Un monde effrayant, terrifiant, sous des allures faussement bonhomme…
Non au risque zéro !
En décembre 2005, en songeant à l’inexorable montée des mises aux normes en tous genres, j’ai choisi un texte puisé dans l’excellent Moderne contre Moderne (Exorcismes spirituels IV, Les Belles Lettres), que j’ai intitulé tout naturellement Non au risque zéro ! :
« L’incertitude, liée jadis à la vie, et qui pouvait dans bien des cas en faire le charme, est bannie. Le militantisme de la prévention la remplace. C’est aussi en vertu de ce principe devenu article de foi que les plaintes s’accumulent à propos de n’importe quoi… Celui ou celle qui en appelle aux tribunaux pour stress et avanies diverses dans l’exercice de ses fonctions, ou pour tension nerveuse et brimade potentielle, est un guerrier de la croisade pour ce risque zéro dont l’horizon obsède nos temps post-historiques. Mais ce n’est plus un tombeau dans cette croisade qu’il s’agit d’aller reconquérir. Ce n’est même plus un cimetière. C’est la paix des cimetières. Car nulle part ailleurs que là ne réside le risque zéro, c’est-à-dire la paix intégrale. » C’est tout à fait ça !
L’écran de télévision
Autre texte excellent de Philippe Muray, que j’avais eu grand plaisir à placer dans le numéro de mai 2007 :
« A Bruxelles, de sinistres inconnus préparent l’Europe des règlements. Toutes les répressions sont bonnes à prendre, depuis l’interdiction de fumer dans les lieux publics jusqu’à la demande de rétablissement de la peine de mort, en passant par la suppression de certains plaisirs qualifiés de préhistoriques comme la corrida, les fromages au lait cru ou la chasse à la palombe. Sera appelée préhistorique n’importe quelle occupation qui ne retient pas ou ne ramène pas le vivant, d’une façon ou d’une autre, à son écran de télévision : le Spectacle a organisé un nombre suffisant et assez coûteux, de distractions pour que celles-ci, désormais, puissent être décrétées obligatoires sans que ce décret soit scandaleux. Tout autre genre de divertissement est un irrédentisme à effacer, une perte de temps et d’audimat. » Qui peut nier la pertinence de ce petit texte ? Sûrement pas ceux qui ne peuvent se passer de télé !
Vieilleries du temps jadis
Dans le numéro de novembre 2007, j’ai placé l’extrait suivant qu’aucun élu honnête ne saurait démentir :
« Un village perdu au fin fond d’une province et qui refuserait de se voir désenclavé à mort, numérisé, maillé, muté en espaces multimédias (avec bistrot-tabac-Internet sur la place de l’Eglise), ou encore transformé en discothèque géante, en terrain de raves perpétuelles (la techno à la ferme), serait immédiatement mis en examen pour intolérance, xénophobie, cyberphobie ou conservatisme frileux ; et cela fait maintenant pas mal d’années que l’insupportable usage du terme frileux (…) sert à vouer à l’opprobre ceux qui s’opposeraient, de quelque façon que ce soit, à l’achèvement de la destruction mondialiste du monde. Les planétocrates, désormais, ne veulent plus entendre parler de rien qui ressemble encore à un attachement aux vieilleries du temps jadis. » (Après l’Histoire) Les planétocrates, nous en connaissons tous, y compris dans les rangs de ceux qui étaient les plus à cheval sur le respect du temps jadis…