L'ouverture au monde !
Autre grand thème furieusement tendance : l’ouverture au monde. Voilà un sujet qui, comme le précédent, finit par devenir crispant car chacun a pris l’habitude de tartiner dessus comme s’il s’agissait d’une formule de politesse des temps modernes…
Ce disque sur l’ouverture, j’y avais droit chaque année quand je me rendais à la conférence de rentrée des Obsédés Juvéniles du Mouvement, rue des Curés, derrière la Cathédrale. Tous ces jeunes battants n’avaient qu’un souhait à la bouche : que Laval, leur cité, se fasse davantage connaître, qu’elle s’ouvre au monde ! Je finissais par trouver cette obsession crispante, incroyablement crispante ! Ras le bol du déracinement et de l'instabilité ! Ras le bol de ne plus pouvoir défendre mon pré carré, ma famille, mes idées…
Au train où vont les choses, il ne restera bientôt plus aucune spécificité aux habitants de telle région du globe ! Cette marche forcée vers l’indifférenciation me désole car j’y vois d’emblée ce que l’homme va y perdre : le goût de vivre, tout simplement ! Mais dans ce domaine, un illustre penseur a eu le nez long et ce dès 1840, Tocqueville, qui a bien vu à quoi ressemblera le monde de demain, celui que nous voyons éclore sous nos yeux effarés (je parle des miens, les vôtres se pâment peut-être…).
Bien vu Tocqueville !
« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres (...) Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux.Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche au contraire qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. »
Ce texte prophétique, très souvent cité par quiconque prend le temps d'observer notre époque, je l'ai publié dans le Laval Infos de janvier 2002 et l'avais titré sobrement : « Bien vu, Tocqueville ! »
Il m'arrivait d'être lassé...
Dans mon discours d’adieu le 12 décembre 2008, évoquant les raisons qui, parfois, me donnaient envie de maudire mon métier, je suis revenu sur cette évolution et les sujets à traiter pour avoir l’air in (comme disait mon père). Extraits :
« Certes il m'arrivait parfois d'être un peu lassé d'avoir à rédiger tel article vantant les qualités des meilleurs élus de la planète – je pense à mes deux chouchous – qui n'étaient point ceux de tout le monde : Jocelyne Faral et Louis Toutaibon…Certes il m'arrivait d'en avoir marre d'évoquer, pour la énième fois, le tri des déchets et les bienfaits de la fibre optique et de l'internet ; les livres de Odette Pense, les sculptures de Roger Résidant et les comédies palestiniennes de Jean-Pierre Thésard ; les groupes de musique au nom parfois imprononçable pour un type comme moi qui n'a jamais été un crack en anglais ; les bons plans de l'Office de tourisme qui, chaque saison, pleuvent comme à Gravelotte et, entre autres, la remise des prix pour les jardins fleuris…
Certes, je commençais à trouver pénible de voir notre époque multiplier chaque année les pseudo-fêtes (du jeu, du pain, du jardin, des poètes, du livre, des grand-mère, des voisins, etc.) tout en interdisant de plus en plus aux esprits libres de s'exprimer à leur guise sans courir le risque d'apparaître aux yeux de la Halde et des nouveaux inquisiteurs du politiquement correct comme des néo-nazis, des pseudo-fascistes, des racistes, des homophobes, des réacs ou des ringards, etc. bref d'apparaître comme des suppôts de la "droite extrême"…
En effet, depuis quatre ou cinq ans, une étude mériterait d'être faite sur le sujet, ras le bol des mises aux normes ! Ras le bol des blousons jaune qu'on va bientôt devoir porter pour aller pisser afin d'indiquer la couleur de l'activité ! Ras le bol des détecteurs de fumée au-dessus du lit des enfants ! Des ethylotests à usage unique ! Des bilans de compétence ! Des obligations de consommer cinq fruits par jour ! Du papier recyclé ! Ras le bol de l'internet, des MP3, des MP4, des ventres plats ! de l'euro ! de la Grosse commission européenne ! Ras le bol des produits bio ! Des présentations Power Point ! Des jeans taille basse (euh non, pas des jeans taille basse !), Des discriminations en tout genre qui finissent par pourrir la vie de tous les jours et, plus grave, infiniment plus grave quand on aime comme moi le théâtre de boulevard, qui finissent par tuer la vie de l'esprit…
Oui, mes chers collègues, il m'arrivait de plus en plus souvent de regretter l'ancien temps – le milieu des années 90 - où tous ces sujets ne garnissaient point les journaux des collectivités (…) L’ancien temps où l'on pouvait appeler un chat un chat sans risquer de se retrouver montré du doigt par un ou une élu(e) chargé(e) de la lutte contre les discriminations… Mais enfin, malgré une relative fatigue qui commençait à poindre et à se lire dans certains articles – des lecteurs exigeants me l'ont dit - jamais ô grand jamais je n'ai envisagé un seul instant de quitter mon poste de moi-même…J'y suis, j'y reste, comme disait Mac Mahon (…) et l’ancien secrétaire général de la mairie de Laval, Jean-Pierre Cossard (…)
En effet, je me disais toujours que, compte tenu de mon caractère, de mon goût pour l'écriture et du contact humain, de ma passion pour l'histoire, de mon attachement à Laval - ville où mon arrière-grand père s'est installé en 1922 - cette place de journaliste municipal me convenait ; c'était the right man at the right place, comme disent nos amis de Boston…. Bref, je me disais que je ne quitterai cette place que contraint et forcé, le cul botté par une nouvelle équipe au pouvoir…
La suite dans le livre...
Les nouvelles normes
Le 19 novembre 2007, ma 50e chronique radiophonique porte sur un phénomène que je constate chaque fois que j’interroge des gens pour Laval Infos. En effet, qu'ils soient conseillers municipaux, commerçants, industriels, responsables d’associations ou éducateurs, tous tiennent absolument à évoquer les nouvelles normes, les nouvelles règles et autres nouvelles mises aux normes concernant leur métier, leur passion, leur public, leurs clients... Des nouvelles règles, des nouvelles normes liées à telle directive européenne, à la mondialisation…
Toutes ces nouvelles règles, toutes ces nouvelles normes, toutes ces nouvelles mises aux normes, personne n’aurait pu imaginer leur création il y a seulement dix ans ! Or cela tourne à l’obsession chez certains, qui évoquent ces considérations techniques – "L’intendance !", aurait dit de Gaulle sur un ton méprisant – avec autant de gravité que si notre bonheur en dépendait…
Je me souviens d’avoir interrogé l’entraîneur d’un club de foot qui voulait absolument que j’indique dans mon article que la Fédération Française de Football lui avait décerné un label national certifiant que ses nouveaux vestiaires étaient aux normes… Il était si fier de ce label qu’il voulait qu’on le prenne en photo pour illustrer l’article ! Je lui disais que ce qui intéressait les parents c’était d’abord de connaître le lieu et les horaires des entraînements, de savoir que le club offrait un nombre d’entraîneurs enthousiastes… Le reste, la couleur des vestiaires ou des rouleaux de PQ, on s’en tape, non ? Et je tentais de le convaincre qu’une photo représentant des gamins jouant au foot valait mieux que tous les labels de la planète, fussent-ils accompagnés de la signature d’Aimé Jacquet…
Mais… rien n’y faisait ! l’homme revenait sans cesse à ses satanés vestiaires aux normes, à ses douches aux normes, à son label et à je ne sais plus quel détail technique extrêmement… pénible, pour rester poli… Avec les années, ce genre de détail n’a cessé de progresser… Et si l’on écoutait certains, les articles se transformeraient en fiches techniques, en ordonnances, en contrat d'assurances ! Bref le superflu a tendance à passer désormais avant l’essentiel, et cela n’est pas prêt de s’arrêter car question mises aux normes, on peut dire qu’on est, pour prendre une formule à la mode, dans le développement durable…
La suite dans le livre...