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Accueillir le touriste... (Jean Clair)

malrauxPhilippe Muray n'est pas le seul écrivain à diagnostiquer la fin de l'Histoire. Dans son excellent Journal atrabilaire, l'académicien français Jean Clair y va aussi de son petit couplet. "A propos de la prosopopée de Paul Valéry sur la mort des civilisations, à partir de quand la France cesse-t-elle d'avoir une histoire pour connaître une fin ? 1914 ? La dislocation des grands Empires ? Le conflit semble mobiliser les forces qui lui restent et les épuiser. Après commencent le retrait fatigué ou frileux, la défaite, 1940, la demi-victoire, 1945, la décolonisation forcée, 1950, les hypocrisies de l'autodétermination, 1960, la perte d'influence et la disparition de la scène internationale, 1970, le déclin de sa culture, 1980, et, stade ultime, la démolition des structures de sa pensée avec la ruine de sa langue, 1980, la mise en retraite anticipée, chômage et 35 heures, 1990...

La fin se passe sous nos yeux, à toute vitesse. C'est le Satiricon de Pétrone en accéléré. Comment rabouter les voix qu'on trouve aujourd'hui remplies de componction et d'emphase d'un Claudel, d'un Malraux, d'un De Gaulle, mais dont les périodes amples et tenues impressionnaient, et les voix faussées des freluquets qui paraissent sur les plateaux "culturels", avec leur syntaxe désarticulée et leur vocabulaire approximatif ? Où sont les visages puissants, dessinés, comme autant de têtes inoubliables des gens qui firent le théâtre et le film des années 50 comparés au vague, à l'indécision, à la fadeur et à la mollesse infantile des traits des nouvelles vedettes ?

Moins de deux générations semblent avoir suffi à mettre à bas un édifice que l'on croyait solide, édifié qu'il était depuis des siècles. A notre tour nous campons dans nos ruines, et ne sommes plus là que pour accueillir le touriste, en ce lieu que Paris est déjà, divisé entre le parc d'attractions et la maison de retraite." 

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