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Lectures d'été du conseiller JCG (III) : Vive la vie ! avec Depardieu, R. Castans et Marcel Pagnol...

Cet été, cher JCG,  vous avez également lu l'autobiographie de Depardieu, "ça s'est fait comme ça", et vous avez apprécié la franchise décapante du personnage. Disons qu'on retrouve la personnalité exceptionnelle, gargantuesque, "ogresque"... de celui qui peut - pouvait - exceller dans de nombreux rôles fort différents les uns des autres, qu'ils appartiennent à l'Histoire (Cyrano,  Danton...) ou à la société (commissaire de police, voyou, chirurgien, curé de campagne...). Quelle que soit la qualité du film, Gérard mouille le maillot pour deux, pour dix, c'est le moins qu'on puisse dire ! Mais ce qui m'a le plus marqué dans ce livre, c'est qu'on a bien failli ne jamais le connaître, le Gégé... A cause des "aiguilles à tricoter"...

Sa mère n'en voulait pas... Oui, ce qu'il commente ainsi : "J'ai survécu à toutes les violences que ma pauvre mère s'est infligées avec ses aiguilles à tricoter, ses queues de cerises, ses machins... Ce troisième enfant qu'elle ne voulait pas , c'était moi, Gérard. J'ai survécu. Elle m'a raconté tout ça, la Lilette. "Dire qu'on a failli te tuer, toi !' En me frottant la tête. Avec amour, hein. Avec amour [...] Même si je n'ai pas été désiré, j'ai été caressé. Une fois que j'étais là, ils ne pouvaient plus me tuer - ils m'ont aimé. mais aimé à leur façon, à leur manière, sans occulter ni les chagrins, ni les peurs, ni la honte."  C'est poignant. Vive la vie ! Il parle très bien de ses parents. Avec pudeur et retenue. Il ne joue pas la comédie.

Il évoque la manière dont il est devenu comédien. Oui. Il rend hommage à plusieurs personnes ayant joué un rôle déterminant dans sa vie qui était plutôt "programmée" pour qu'il devienne un délinquant de première bourre. Il y a d'abord eu la remarque du "psychologue de la prison" où Gérard, adolescent, séjourne quelques jours pour un vol de voiture (Il n'aura pas à se forcer pour exceller dans Les Valseuses !). "C'est durant mon séjour en taule que j'ai la révélation qui va faire basculer ma vie. Presque rien, j'aurais pu aussi bien ne pas l'entendre, mais à ce moment-là, parce que je suis incarcéré [...] la chose prend un écho phénoménal en moi."

De quoi s'agit-il ? Le psychologue lui dit, après l'avoir accueilli avec bienveillance et, "avant même de [lui] demander quoi que ce soit : "Tu as des mains de sculpteur. - De sculpteur ? Mais je ne sais même pas dessiner ! - Quelle importance ? Tu as des mains puissantes et belles, faites pour pétrir, pour modeler..."

On ne dira jamais assez l'importance que peut avoir un compliment auprès d'un être qui doute de lui, ne s'aime pas... Oui, ce jour-là le psychologue a accompli une B.A. qui enrichira le patrimoine du cinéma français des années 70 à 2010. Il y a aussi, autre personnage essentiel dans la vie de Gérard Depardieu, un certain Michel Pilorgé, un fils de médecin, que Gérard a rencontré par hasard autour de la gare de Châteauroux où il glandait quotidiennement. Il avait trois ans de plus que lui et voulait absolument faire du théâtre et, pour cela, se rendre à Paris. "Sans doute sous son influence", Gérard , un soir, assistera, "par effraction,  à une représentation de Dom Juan de Molière dans le théâtre de Châteauroux..."

Et alors ? Il raconte :  "Ce que je comprends de l'histoire ne m'emballe pas, mais je suis fasciné par la langue, la musique des morts... C'est si étonnant que je m'achète la pièce et que je prends plaisir à en déclamer tout seul des morceaux. Je ne comprends pas un mot sur cinq, mais j'entends clairement la musique et je me souviens comme ça me plaît à l'oreille, tout en me troublant. "

Il est pris... Oui. Et, le jour où Michel part pour Paris Gérard décide de faire la même chose, quelques jours plus tard. Merci Michel !, qui l'accueillera à Paris dans l'appartement qu'il occupait avec son frère. Sans lui, Gérard ne serait peut-être jamais parti...  

Il y a aussi l'intervention du célèbre comédien et prof de théâtre  Jean-Laurent Cochet, qui, lui, allons-y carrément (c'est Gérard qui l'écrit) révélera Depardieu à lui même et fera de lui un comédien, un artiste. " Je vois immédiatement que tout ce qui effraie en moi l'intrigue, et peut-être même le fascine, écrit Gérard. J'ai dix-sept, il en a trente-deux et il est homosexuel : je crois qu'il est le premier à déceler ma part féminine sous l'habit de l'homme des bois et du voyou. A repérer cette hypersensibilité qui jusqu'ici n'a fait que m'encombrer, et même me paralyser."

Tout se passe donc au mieux ? Non. Gérard, intimidé (si si ) ne comprend pas les mots et rate sa première audition, de manière catastrophique. A priori, les carottes sont cuites, et Gérard pense ne plus avoir qu'une chose à faire : retourner à Châteauroux... Mais c'était compter sans la perspicacité de Cochet, qui aura l'intelligence de faire semblant de le croire quand Depardieu lui ment effrontément : "Bien sûr que j'ai fait du théâtre..."  Il l'engage alors dans son cours. Et gratis pro Deo...  Sans Cochet... pas de Depardieu dans les salles obscures...

Est-ce tout, mon général ? Non, Gérard rencontrera une autre personne qui croit en lui, devine ce que vaut un pareil phénomène, une telle boule de vie : Elisabeth Guignot, qui deviendra sa femme et la mère de Guillaume et Julie... Mais la suite, tout le monde la connaît peu ou prou car elle a été à l'affiche des cinémas dès les années 70 où Gégé explosera rapidement. Ce sont les films - parfois inoubliables où son talent éclate, explose même ! Néanmoins, j'ai trouvé la suite moins intéressante même si certaines remarques et réactions ne laissent pas indifférent...

Par exemple... Il évoque ses démêlés avec le fisc, le fait qu'il n'a pas envie de payer 87% d'impôts en France... Il explique qu'il a donné à l'Etat français cent cinquante millions d'euros depuis qu'il travaille ! Alors que, depuis l'école, il n'a "jamais réclamé un rond à aucune administration" ! Il répondait à l'insipide Jean-Marc Ayrault, l'homme qui nous a tenu lieu de "premier sinistre" entre 2012 et 2014 et qui a osé le traiter de "minable" publiquement ! Ayrault ! Comme disait Audiard : "Les c, ça ose tout..."  

Parlons maintenant d'une autre biographie (si l'on peut dire) que vous avez lue cet été, concernant, cette fois, un auteur de théâtre principalement, mais aussi de films, de romans, de mémoires : Marcel Pagnol, lequel "avait l'habitude de recevoir chez lui, à l'heure de l'apéritif, quelques fidèles, un peu comme en province au Café des Amis." Il y avait des figures qui ne diront pas grand chose à certains de nos lecteurs mais qui ont beaucoup compté jadis dans le milieu du spectacle parisien : Henri Jeanson, Marcel Achard, Gaston Bonheur, Raymond Pellegrin et, entre autres, le journaliste Raymond Castans, auteur de l'ouvrage que vous avez dévoré : "Marcel Pagnol m'a raconté"...  J'ai dévoré ce petit livre car il est tout bonnement savoureux pour quelqu'un qui, comme moi, aime viscéralement la France de l'ancien temps, celle qui aimait à rire de tout sans jamais être sous la botte de ce politiquement correct qui gangrène la joie de vivre ! J'aime aussi beaucoup le personnage de Pagnol même si je ne me sens aucunement du Sud, aucunement marseillais. Surtout aujourd'hui... J'ai toujours préféré le vin rouge au Pastis...

Dans ce livre, Castans revient sur les petites histoires, anecdotes et autres jugements du père de la trilogie marseillaise qui se trouvait aussi être un conteur extraordinaire. Quel bonheur cela devait-il être de se trouver chez celui qui se savait le plus grand auteur dramatique français contemporain pour y prendre l'apéro ! Et y entendre force anecdotes tant sur des gens connus (Raimu, Fernandel...) que sur des artistes que plus personne ne connaît aujourd'hui...

Par exemple... Je pense à un certain Henri Poupon, un acteur qui était à la fois (cela arrive) aussi bien fait de sa personne que porté sur le beau sexe, pour ne pas dire obsédé sexuel. La preuve ? Il a refusé de jouer dans un film qui aurait pu faire de lui une vedette de cinéma. Il avait dit non au producteur qui lui proposait ce changement de statut sous le prétexte qu'il était déjà pris par un film que devait tourner prochainement Marcel Pagnol. Le producteur téléphone alors à son ami Pagnol pour savoir si, concernant l'emploi du temps de Poupon,"on ne pouvait pas s'arranger..." Pagnol tombe des nues car il n'a proposé aucun film à cette date au fameux Poupon ! "Je promets alors à Diamant-Berger [le producteur] d'arranger ça, indique Pagnol. Surtout "s'il fait un effort"". Ce qu'il fera... Marcel téléphone alors à Poupon pour lui annoncer la bonne nouvelle : il a décroché pour lui le rôle principal, la tête d'affiche (avant Gaby Morlay, s'il vous plaît !) et... 100 000 francs, une somme énorme pour l'époque (1936). Poupon le remercie avec effusion mais... lui demande illico quand aura lieu le tournage "Dans un mois, lui répond Marcel, pensant mettre Poupon dans une joie totale. La réponse de Poupon ne se fait pas attendre : c'est niet ! "Mais pourquoi donc ?, demande Pagnol. - Ecoute Marcel, ce n'est pas possible, les premiers shorts viennent d'arriver à Bandol, toutes ces belles petites... Toutes ces estivantes en costume national... Je ne veux pas perdre ça. On ne peut pas remettre le film au mois d'octobre ?" Bien sûr, la chose est impossible.

Poupon a donc refusé les 100 000 francs de 1936 à cause de "toutes ces belles petites" ! Oui. Et sans aucune hésitation. Et Pagnol de conclure : "C'est Charles Vanel qui a joué le rôle. Et Poupon n'a jamais, plus jamais été tête d'affiche." Des histoires comme celles-là, Pagnol en connaissait des centaines, qu'il narrait avec un talent exceptionnel. Car, répétons-le, cet homme était un conteur-né...

J'apprécie ce Poupon que vous m'avez fait découvrir ! Et moi, donc ! Un type qui refuse de devenir une vedette du cinéma uniquement pour profiter des gambettes nues des filles de Bandol l'été ! C'est la classe ! Aujourd'hui, pour 100 euros, certains acteurs seraient prêts à quitter leur pays...

On peut aussi dire que Poupon est un imbécile... Oui. Car s'il était devenu une vedette il aurait pu assouvir sa passion pour le beau sexe encore plus facilement car nombre de filles auraient craqué plus facilement. Mais il a préféré revenir au pays pour jouir d'un spectacle auquel il était viscéralement attaché... Pour en finir avec Poupon, Marcel nous apprend également qu'il est mort "en prenant froid"...

Comment ça ? "Il tournait en hiver, en Camargue, un film dont l'action se passait en été. Il y jouait le rôle d'un grand-père paralytique et on lui versait de l'eau glacée sur la tête pour suggérer la transpiration. Dans la nuit, il est mort de congestion - une mort qui ne manque pas de grandeur", conclut Pagnol. Oui, ce Poupon me plaît bien !

Il y a aussi, dans ce petit livre charmant, des scènes liées au Marseille de cette époque, au Marseille des années trente où le soir, tout le monde se retrouvait à L'Alcazar. "Les Panisse et les César au parterre et, aux galeries, les Marius, les Fanny, les Piquoiseau et les chauffeurs du "ferriboîte". Riant, pleurant, s'interpellant, applaudissant, sifflant, hurlant ou acclamant, ils formaient le meilleur public de France, le plus connaisseur et le plus exigeants avec des réparties foudroyantes."

Par exemple ? Raymond Castans en cite deux, impayables." A un ténor minuscule qui, pour les besoins de son rôle, devait emporter dans ses bras une énorme chanteuse légère évanouie, on criait :"Fais deux voyages !"

Aujourd'hui, vous seriez dénoncé à la Ligue des droits de l'homme ou à celle de Défense de la femme obèse, je l'ignore... Oui. une autre histoire narrée est plus fameuse : " Vendredi, en soirée, annonce le régisseur passé devant le rideau pendant l'entracte, Madame Rose Pompon chantera Mignon. - C'est une pute, Rose Pompon", répond une voix au poulailler. Il en faut davantage pour démonter notre homme, qui reprend : " Quoi qu'il en soit, vendredi en soirée, Madame Rose Pompon chantera Mignon." Qui dirait cela aujourd'hui ?

Allez, un dernier extrait pour convaincre ceux qui auraient ce livre chez eux et qui hésiteraient à s'y plonger. Si vous le souhaitez. Il concerne un chanteur qui venait régulièrement chez son ami Pagnol, lui aussi ; un chanteur aujourd'hui quelque peu oublié même si son plus grand succès -  "Petit papa Noël" - est encore chanté en famille dans nos contrées au moment de la naissance de qui vous savez...

Tino Rossi ! Himself ! "Pagnol l'aimait de toutes ses forces. D'abord parce que Tino est heureux, écrit Castans. Ensuite parce qu'il est heureux d'être heureux. Et enfin parce qu'il se fout de tout le reste. Tout le reste, ce sont les plaisanteries à son sujet, les étonnements des Trissotins de la sociologie qui s'interrogent sur la pérennité de la passion que lui porte son public, de ses succès... J'ai bien dit, tout le reste. "Et en plus, je vais vous le dire, ajoutait Pagnol. Tino, il a une chance formidable : il adore chanter. Il chante tout le temps." Mais j'arrête là, cher Bois-Renard, car il faudrait citer toutes les anecdotes...

Merci pour cette évocation de gens qui savaient vivre, dans une France qui n'avait pas encore perdu son âme... De rien ! Et la suite au prochain numéro car j'ai encore quelques bons livres à narrer, à commencer par les mémoires posthumes d'un écrivain que je ne connaissais que de nom jusqu'à ce que je m'intéresse à lui, dernièrement, pour "raisons professionnelles", si j'ose dire : Robert Sabatier.

A très bientôt, cher JCG. Oui, Bois-Renard. Dans quelques jours, promis juré.

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