Lectures d'été du conseiller JCG (VI) : Coluche, Félicité Herzog, Régine Pernoud

L'heure est venue JC Gruau d'évoquer vos dernières lectures d'été qui, une fois n'est pas coutume, furent toutes écrites par des femmes...  Oui et d'ailleurs j'espère, cher Bois-Renard, ne pas être puni par le Gouvernement socialiste pour ne pas avoir respecté la parité dans ce domaine ! Car c'est évidemment le hasard qui a fait que j'ai lu au moins quatre livres ayant pour auteur(e) des représentantes de celui qu'on nommait jadis - avec une pointe d'excitation - le beau sexe ou le sexe tout court. Maintenant, on dit des "meufs", je crois...

Par quel ouvrage voulez-vous commencer ? Par un petit bijou concocté par la grande médiéviste Régine Pernoud (1909-1998), auteur(e) d'un admirable petit livre qui est à la fois, dixit feu Georges Suffert, "une enluminure et un pamphlet". Titré "Pour en finir avec le Moyen Age" (Points Histoire), ce livre publié en 1977 a permis de rendre enfin justice à cette longue période de mille ans si injustement salie par plusieurs siècles de préjugés.

C'est vrai que l'adjectif "moyenâgeux" ne sonne pas comme un compliment ! Pas plus que "gothique" d'ailleurs (qui a donné godiche), ou "féodal" qui, lui, "désigne l'obscurantisme le plus indécrottable" ! Exact. Mais grâce à ce petit livre facile à lire et peu épais (150 pages, le meilleur argument pour certains), mille ans d'histoire émergent enfin ! Du Ve au XVe siècles... Et comme l'annonce la quatrième de couverture en utilisant une formule célèbre : "Le Moyen Age est mort, vive le Moyen Age !"

Et vive Régine Pernoud, surtout ! Bien sûr ! Cette femme a accompli un travail admirable.

Mille ans, mazette ! Comment s'y retrouver, c'est immense ! Justement, Régine Pernoud souhaitait que cette très longue période fût découpée en quatre tranches : une "période franque" de 300 ans, qui va de la chute de l'Empire romain ("410, si l'on choisit pour point de départ la prise de Rome par les Goths ; 476, si l'on préfère la déposition du dernier empereur") jusqu'à l'avènement de la lignée carolingienne au milieu du VIIIe siècle.

Bien vu. Seconde tranche... Ce "pourrait être la période impériale, qui a vu se réaliser l'unité de l'Europe, pendant deux cents ans environ ; viendrait ensuite, du milieu du Xe siècle à la fin du XIIIe siècle, une troisième époque : "l'âge féodal qui, lui, constitue bien une unité, en France surtout, avec des traits communs et fortement marqués qui caractérisent ces quelque trois siècles et demi". Enfin, Régine Pernoud pense qu'on pourrait réserver le terme "Moyen Age" aux deux derniers siècles qui constituent une période de transition, effectivement, entre féodalité et monarchie. Du reste, sur cette période, l'historienne se permet une remarque intéressante - et qui réjouira tous ceux qui crachent sur le Moyen Age sans le connaître...

Quelle remarque ? Seule cette quatrième et dernière période justifie les vues sommaires qui font du Moyen Age une époque de guerres, de famines et d'épidémies...

L'image qu'en ont petits et grands, en fait ! Oui. Une image composée d'innombrables poncifs et autres préjugés que nous avons tous entendus ici ou là quand nous ne les avons pas nous-mêmes relayés... Régine Pernoud en cite quelques-uns.

Par exemple... "En 1969, écrit-elle, peu après les premiers pas de l'homme sur la lune, alors que la télévision interrogeait un groupe d'enfants sur les raisons des progrès techniques de l'humanité, un petit garçon répondit : "C'est parce que, après le Moyen Age, les gens ont réfléchi !" Et Régine Pernoud de poursuivre  : "Il pouvait avoir 8 ou 9 ans, mais déjà il savait que pendant le Moyen Age les gens ne réfléchissaient pas." Hélas, ce type de préjugé concerne aussi les adultes, y compris les journalistes, lesquels, Jean-Edern Hallier l'avait souligné cent fois de son vivant, sont rarement des gens cultivés...

Allez-y ! Un journaliste catholique interroge Régine Pernoud sur les actes du procès de Jeanne d'Arc : Mais comment diantre pouvaient-ils être connus ? Elle lui explique qu'on "en possédait l'authentique, le relevé, fait par les notaires, comme dans toute action juridique à l'époque, des questions posées par le tribunal et des réponses faites par l'accusée. Mais alors on écrivait tout ? demande le journaliste. - Oui, tout. - Cela doit faire un très gros dossier ? - Oui très gros. (J'avais l'impression, précise-t-elle, de converser avec un analphabète.) - Alors, reprend l'inculte, pour le publier il y a des gens qui ont tout recopié ? - Oui, tout." Et cet analphabète de murmurer pour lui-même : On a du mal à croire que ces gens-là pouvaient faire les choses avec tant de soin..."

La réponse de Régine Pernoud ? "Ces gens-là... avec tant de soins..." A mon tour de m'étonner, écrit la médiéviste : ce journaliste n'avait jamais regardé une voûte gothique ? Il ne s'était jamais posé la question de savoir si pour tenir pendant bientôt un millénaire à quelque quarante mètres de haut, il ne fallait pas qu'elle eût été faite avec soin ?"

Cette réflexion toute simple permet de ridiculiser - et définitivement - quiconque prend le Moyen Age pour une époque d'attardés mentaux ! Je suis d'accord et je la garde dans un coin de mon cerveau...

En fait, pour tous ces journalistes - mais également, répétons-le, pour l'homme de la rue qui n'a rien appris de sérieux sur le sujet à l'école, le Moyen Age se résume à "dix siècles de ténèbres" entre "deux époques de lumière" : l'Antiquité et la Renaissance (de l'Antiquité) ! Oui, mais c'était compter sans l'érudition de notre médiéviste, qui permet de remettre les pendules à l'heure ! Elle montre d'abord qu'au Moyen Age, les auteurs chéris de la Renaissance étaient déjà fort connus et "que l'apport du monde antique, classique ou non, était loin d'être alors méprisé ou rejeté" ! C'est pourquoi certains avaient parlé de "Renaissance carolingienne" et d'autres, "plus hardis encore", de renaissance du XIIe siècle !

Et toc ! Oui et cette grande historienne explique que ce qui rend la Renaissance différente des autres époques, "c'est qu'elle pose en principe l'imitation du monde classique". La connaissance, on la cultivait déjà ! Et de citer deux faits : "Comment ne pas rappeler ici l'importance que prend, dans les lettres, L'Art d'aimer d'Ovide dès le XIe siècle, ou encore, dans la pensée, la philosophie aristotélicienne au XIIIe siècle. Le simple bon sens suffit à faire comprendre que la Renaissance n'aurait pu se produire si les textes antiques n'avaient été conservés dans des manuscrits recopiés durant les siècles médiévaux."

Re-toc ! Et moi qui pensais que la redécouverte des auteurs de l'Antiquité devait tout au pillage de Constantinople par les Turcs en 1453, lequel pillage avait permis d'apporter en Europe des bibliothèques de ces mêmes auteurs conservées à Byzance ! Régine, une fois de plus, a réponse à tout : "quand on examine les faits, explique-t-elle, on s'aperçoit que cela n'a joué qu'à une échelle infime et n'a été aucunement déterminant."

Donc, finalement, rien de nouveau sous le soleil de la... Renaissance !  Presque rien si ce n'est la manière de considérer les oeuvres antiques comme des modèles à imiter." Les Anciens avaient réalisé des oeuvres parfaites ; ils avaient atteint la Beauté même. Donc, mieux on imiterait leurs oeuvres et plus on serait sûr d'atteindre la Beauté." Et Régine de terminer ainsi sur le sujet :" Il nous paraît difficile aujourd'hui d'admettre que l'admiration doive, en art, amener à imiter formellement ce que l'on admire, à ériger en loi l'admiration. C'est pourtant ce qui s'est produit au XVIe siècle..."

Ce retour vers le passé est d'autant plus étonnant qu'il a lieu au moment où l'on découvre, entre autres, un nouveau continent... Oui.

En clair au Moyen Age on pouvait s'inspirer des oeuvres antiques sans pour autant les imiter ! Eh oui ! Dans le domaine de la création, le Moyen Age est loin devant la Renaissance !  

Tout cela est passionnant et j'ai grande envie de lire cet ouvrage qui détruit tant d'idées reçues. C'est aussi ce qui m'a plu, je vous l'avoue. Ce révisionnisme... autorisé ! J'apprécie toujours de lire des historiens sérieux qui apportent dans une langue précise un son de cloche favorable au génie humain. Surtout quand le Dieu des chrétiens est, si j'ose dire, au centre des motivations. Ce qui est le cas pour le Moyen Age...

Allez, je suis tellement excité à l'idée de lire cet ouvrage que je vous demande une dernière anecdote...  En voici une qui permet de comprendre cette époque où les "Craignant Dieu" étaient légion, cette époque qui, plusieurs siècles après son extinction, permit à l'acteur Jean Reno d'endosser son meilleur rôle au cinéma en 1993, dans "Les Visiteurs" de Jean-Marie Poiré, en jouant à la perfection les attitudes et le mode de pensée de "cousin Hub", le comte Hubert de Montmirail...

Allez-y... "Joinville raconte comment, au moment où l'armée du roi de France dont il fait partie, est ravagée par l'épidémie sur les rives du Nil, lui-même, relevant de maladie, assiste un jour à la messe de son lit, sous sa tente. Or, voilà que le prêtre qui célèbre est lui aussi tout à coup atteint par le fléau ; il chancelle. Joinville saute de son lit et court le soutenir : "Achevez votre sacrement", dit-il ; puis, poursuivant son récit : "Et il acheva de chanter sa messe tout entièrement, et jamais plus ne la chanta." Or, pour tout le monde aujourd'hui, le geste de Joinville paraîtrait à peine sensé : devant un prêtre pris de malaise, on s'empresserait d'aller chercher un médecin, tandis que la préoccupation majeure de Joinville et du prêtre lui-même, autant qu'on puisse le déduire du récit, c'est qu'il "achève le sacrement"."

C'est superbe et je vais vous faire un aveu : j'aurais préféré vivre à l'époque de Joinville qu'à celle de Hollande ! Avoir une telle foi ! Ne craindre la mort que pour le salut de son âme ! Et considérer les sacrements au-dessus de tout ! C'est vrai que nous sommes englués dans le confort, la politique du moindre effort autre que le respect - neuf fois sur dix imbécile - des mises aux normes... Quant aux sacrements, qui les respecte vraiment ? Même le pape actuel, dans une récente déclaration, a minimisé celui du mariage en faisant l'éloge du concubinage... Cousin Hub', reviens nous défendre - et vite !

Cette anecdote permettra peut-être à certains lecteurs de mieux comprendre qu'il ne faut point regarder le passé avec les lunettes du présent... Oui. Car au Moyen Age, écrit Régine Pernoud, "la préservation de la foi paraissait aussi importante que de nos jours celle de la santé physique." Maintenant, combien de Français au cerveau lavé par l'imbécillité télévisuelle peuvent comprendre cela ?   

Passons, si vous le voulez bien, au deuxième ouvrage écrit par une femme que vous avez lu cet été... Volontiers. Il s'agit d'un gros "roman" de 426 pages signé par une certaine "Fred" Romano, présentée par son éditeur comme le "dernier amour de Coluche". Son titre ? "Le film pornographique le moins cher du monde".

Un titre accrocheur s'il en est... Oui, car de ce film il n'est question que quelques lignes, au tout début de l'ouvrage. En fait, il s'agit d'un projet cinématographique que Coluche envisage de réaliser avec sa jeune - et délurée - maîtresse (Fred Romano, justement) en se contentant de passer "une petite annonce dans les journaux d'échangistes"...

En fait, une fois de plus, ce "roman" n'est autre qu'un récit, une histoire vraie mais l'auteur(e) écrit "roman" pour "se protéger" des gens qui pourraient ne pas apprécier de s'y trouver... Oui, c'est l'impression que j'ai. En fait, l'auteur(e) y décrit avec force détails sa "love story" avec l'humoriste préféré des Français des années 80. Une histoire d'amour agitée, qui débute l'année où Mitterrand entre enfin à l'Elysée (1981) et s'achève quatre ans plus tard, moins d'un an avant la mort du clown. Une histoire plutôt bien décrite mais d'une noirceur à couper à la serpe... Ah, on ne peut pas dire - si l'on en croit Fred Romano - que c'était particulièrement drôle de vivre avec Michel Colucci en 1981 !

Y'a-t-il une explication ? Oui : le divorce d'avec sa femme - prononcé le 3 décembre 1981 - qui prive l'ancien candidat à la présidentielle de 1981 de voir ses enfants. Page 30, il pleure devant sa "petite poule" : "Sa voix s'étrangle, écrit-elle. Ses larmes ruissellent, silencieuses, sur son visage crispé. Je n'arrive pas à bouger le petit doigt, la dimension de son chagrin me fascine. Je ne suis pas habituée. Je connais le désespoir, pas le chagrin.  Arrête de me regarder comme ça. Tu comprends pas que je suis mal, mais mal !...- C'est quelque chose qui va avec le talent, non ? Ses larmes cessent brusquement. Il me dévisage avec ahurissement. - C'est surtout quelque chose qui va avec les Noëls sans enfants... T'es vraiment la reine des connes, mais la reine ! Le mythe de l'artiste qui accouche dans la souffrance, si c'est bien cela que tu as en tête, laisse-moi te dire que c'est une merde absolue ! J'y crois pas, t'entends, j'y crois pas ! ce qui me rend dingue, c'est de ne pas pouvoir voir mes gosses ![...] "

On est loin du "Schimilimi... schimilimi... y tient dans la main, y tient dans la main..." Oh, que oui ! Mais j'imagine que nombre de stars sont aussi pénibles que Coluche dans l'intimité. En tout cas, avec Fred, si ce qu'elle a écrit est vrai, le personnage ne donne guère envie d'être fréquenté bien qu'il se moquât de l'argent et sût toujours se montrer généreux avec les gens qu'il aimait et les déshérités... Un bon point pour le passage chez saint Pierre : il était riche mais ne comptait pas ses biffetons...

On retrouve là le créateur archi-encensé par le Système des "Restos du Coeur", "saint Coluche", comme l'appelait ironiquement Louis Pauwels dans certains de ses éditoriaux du Figaro Magazine. A Acapulco, par exemple, où Coluche réside avec sa jeune maîtresse, plutôt que de donner de l'argent aux gamins qui font la manche ("Les racailles qui leur tiennent lieu de grands frères les volent et les battent s'ils n'en ramènent pas toujours plus"), l'humoriste va leur offrir de la nourriture qu'il prendra directement - et sans demander la permission !- au buffet somptueux du restaurant de grand luxe dans lequel les tourtereaux sont descendus. La fin de l'histoire est plutôt... catholique.

Comment ça ? Disons qu'elle a de quoi enchanter plusieurs générations de journalistes de La Croix..."Le jour du départ, les femmes de service nous font une haie d'honneur, écrit Fred, et Michel les embrasse toutes les unes après les autres. Le gérant, souriant, lui serre chaleureusement la main en lui avouant que, finalement, ç'a été un plaisir de le rencontrer. Il a secoué son existence endormie par le train-train du luxe. Désormais, il distribuera les surplus de nourriture de l'hôtel. Michel l'embrasse, tout en lui glissant le paquet d'herbe dans la main. Tous nous font de grands signes depuis le perron de l'hôtel."

Vous l'appréciiez, Coluche ? Il m'a bien fait rire dans ma jeunesse, quand il débutait, en 1974 (j'avais onze ans), avec sa fameuse salopette et son nez de clown, et des sketchs comme "L'Auto-stoppeur", "Le Schmilblick", "Géraaaaard", "L'histoire d'un mec"...  Je l'ai également vu quelques années plus tard, au Gymnase, sous Giscard, en 1978, avec mes parents...  Il avait une présence sur scène très efficace - et sa vulgarité bon enfant apparaissait, si j'ose dire, comme une bouffée de fraîcheur. Après, tout le monde a voulu l'imiter, "faire du Coluche", c'est devenu fatigant. Et, généralement, d'une vulgarité crasse...  

Je ne sais plus qui l'avait baptisé "Le Rimbaud du pipi-caca" ? Un journaliste du Figaro, je crois, Renaud Matignon. Mais je n'en suis pas certain, il faudrait que je retrouve l'article (je l'avais découpé). J'avais trouvé que c'était plutôt bien vu car Coluche avait tendance à abuser du vocabulaire lié aux  organes sexuels dans son expression... C'est peu dire que la vulgarité a connu une phase ascendante avec lui. Mais il avait néanmoins l'une des plus grandes qualités qui existent : la vis comica...  Plus tard, j'ai moins goûté le militant socialiste des dernières années même si, très souvent, il continuait de lâcher des saillies plutôt efficaces... Le Pouvoir le craignait, je pense. Sa mort reste mystérieuse...   

Vous avez quelques citations à nous livrer ? "Tous ces étrangers seraient bien mieux dans leur pays... La preuve : nous, on y va bien en vacances !

Ouais... "Vous savez la différence qu'il y a entre le Parti Communiste et le Beaujolais ? C'est que le Beaujolais est sûr de faire 12,5 !"

Celle-là est franchement datée car, bientôt, il faudra expliquer aux enfants ce que fut le Parti Communiste [rires]... "J'ai un copain qui a fait un mariage d'amour ; il a épousé une femme riche : il aimait l'argent."

Ouais.. Une dernière et on arrête... "En Ecosse, un homme a été arrêté pour attentat à la pudeur : il s'épongeait le front avec son kilt..."

C'est, pour moi, la meilleure de votre florilège...  Je vous les sors de mémoire, il faudrait que je fasse une petite recherche pour en trouver de plus fines...

Ne vous donnez pas cette peine. Pourquoi avoir acheté ce gros livre ? Je suis tombé dessus par hasard, à la devanture de la librairie de livres d'occasion Boulinier du boulevard Saint-Michel. Attiré par sa couverture rose bonbon, son titre et son prix défiant toute concurrence (1 euro),  j'ai ôté ce gros ouvrage de sa caisse, l'ai feuilleté deux minutes, le temps de tomber sur quelques anecdotes relatives à des célébrités que je cite régulièrement dans mes causeries historiques en maison de retraite : le producteur Claude B. (comme Berry), le comique Jean Y. (Yanne), le chanteur Jacques D. (Dutronc), Bertrand Blier alias "la personne la plus triste du monde"... Il y avait aussi des politiques que j'abhorre mais que j'évoque souvent : Jacques Attali, Bernard Tapie, Ségolène Royal... Comme je suis toujours à la recherche d'anecdotes, de petits faits vrais susceptibles d'intéresser mon public, je n'ai pas hésité...

Avez-vous souri en lisant ce livre ? Une fois, seulement : quand Claude B. indique à Coluche, via une blague juive, les trois raisons qui permettent d'affirmer que Jésus était juif...

Quelles sont-elles ? "La première c'est qu'il est resté jusqu'à trente-trois ans chez ses parents. La seconde c'est qu'il croyait que sa mère était vierge. Et la troisième c'est qu'il a monté il y a deux mille ans une petite boutique qui fonctionne toujours."

Pas mal ? Et sa Fred Romano, elle est aussi dans le cinéma ? Non. Même si elle a un peu flirté avec le milieu... Remarquez qu'elle aurait pu y mettre un pied. Mais encore aurait-il fallu qu'elle acceptât le bout d'essai que Coluche lui avait obtenu pour jouer à ses côtés le personnage de la petite punk du film le plus apprécié de Coluche, Tchao Pantin...

Et alors ? Elle a refusé !, ne voulant pas de "ce rôle de midinette stupide" ! Coluche lui en voudra d'autant plus que Fred, conquise par le bouquin [de Tchao Pantin], l'avait poussé à accepter le rôle du pompiste. Oui, Coluche lui en voudra terriblement. Il s'était mouillé pour qu'elle puisse concourir... "Mais enfin, Fred, tu aimais tellement ce livre, lui reproche un ami de Coluche. - Le livre, oui. Mais ce scénario... [qui différait du livre concernant la punkie] - Mais enfin, c'est votre histoire ! deux paumés qui se croisent au bout de la nuit et qui revivent l'un grâce à l'autre ! Pourquoi tu ne veux pas le reconnaître ?" Il insiste. "Bon c'est vrai que le trait a été un peu forcé, mais c'est du cinéma commercial ! Pense un peu : ce pourrait être le début d'une carrière pour toi. Après un rôle pareil, les portes s'ouvrent toutes seules.Tu n'as pas le droit de passer à côté... Fais-le au moins pour Michel. Il a besoin d'être fier de sa femme."

Et c'est ainsi qu'une certaine Agnès Soral décrochera le rôle... Oui mais ce refus de Fred laissera des traces dans le couple qu'elle forme avec Coluche... La séparation viendra un peu plus tard, après un drame qui n'a hélas rien d'exceptionnel dans la France actuelle puisque 220 000 femmes le vivent chaque année...

J'ai compris... Oui. "Je prends rendez-vous avec un gynécologue, écrit Fred. Il a une place libre à la clinique dès la semaine prochaine. J'annonce à Michel ma décision d'aller visiter ma famille. Je ne peux rien lui dire, il y a trop de choses à expliquer, et trop peu de temps avant la date limite des douze semaines. Ca se passe très vite et sans douleur. A peine suis-je sorti de ma léthargie que Michel est là devant moi, les yeux bouffis. je ne lui avais pourtant pas donné l'adresse de la clinique. C'est donc le toubib qui m'a trahie."

C'est triste, très triste. Oui. Plus tard, cette autre scène, morbide : "Je bois, je prends des drogues diverses. Mais rien n'apaise le silence. Je tourne en rond dans la maison. Parfois le regard de Michel, pesant sur moi. Dès que je me retourne, il disparaît. Lui, tout ce qu'il voit c'est que j'ai avorté."

C'est la fin... Disons qu'il y aura - autre épisode finement décrit - un rendez-vous avec le Président Mitterrand, chez Attali, une rencontre qui ne se passera pas comme prévu car Fred, devant Tonton, sortira de son sac à main, le morceau de haschisch, le papier à rouler et une cigarette... De quoi se rouler un joint, quoi ! Un froid s'ensuivra... Et Coluche ne pourra pas présenter comme il l'espérait un grand projet qui lui tenait particulièrement à coeur et que tout le monde connaît aujourd'hui : "Persuader les entreprises d'offrir des surplus de nourriture" en bénéficiant d'une "gigantesque infrastructure dont seul l'Etat dispose." Et Fred, lucide, de glisser : Il ne me pardonnera plus, je le vois."

Cette fois, c'est la fin. Non ! Icelle interviendra après un dernier cadeau de son amant plein aux as que Fred refusera. Un cadeau de "quatorze briques"... Des diamants... "Je l'avais commandé... à un moment où j'y croyais encore, lui dira, furieux, l'humoriste... mais maintenant je vois on ne peut plus rien y faire, pas vrai? - J'ai pas besoin que tu m'offres des diamants pour me le signifier. - Je l'ai fait parce que j'en avais envie. - Je suis obligée de les porter ? - Tu n'es obligée à rien. Mais tu sais ce dont j'ai envie, maintenant ? C'est de te foutre mon poing dans la gueule. Parce que je n'en peux vraiment plus... " Le poing partira, ainsi que Fred, le 3 septembre 1985...

Troisième ouvrage, Maestro... Avec joie. Il s'agit d'un autre récit - également rebaptisé "roman", décidément ! - : "Un héros". Il est signé par une femme ravissante et de grande classe, Félicité Herzog. Il s'agit d'une sorte de règlement de compte familial car le héros en question n'est autre que le père de l'auteur(e), Maurice Herzog, le héros qui fit vibrer la France entière pour avoir planté au sommet de L'Annapurna - 8 000 mètres, s'il vous plaît ! - un drapeau français en 1950...

Un exploit important pour la France... Oui. Cette victoire, écrit Félicité, offrait à la France, telle qu'elle lui fut présentée, l'inspiration qui lui avait manquée pendant les années d'occupation puis de restrictions : esprit de conquête, audace tactique face à l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie dont les rivalités s'étaient déplacées sur le terrain symbolique de l'alpinisme, assaut final, calvaire à la descente, amputations au camp de base puis que cours d'un long retour au pays, dernier acte d'une tragédie de glace et de roc." Et Félicité de préciser : "Un physique à la Clark Gable et une grande éloquence permettaient à mon père d'incarner ce héros parfait, capable de concurrencer les surhommes allemands ou italiens."

Pourquoi avoir eu envie de lire cet ouvrage alors que vous n'avez aucune attirance particulière pour la montagne ? Parce que, en préparant une causerie sur l'année 2012, je suis tombé sur Maurice Herzog, mort cette année-là à un âge avancé ; je me suis intéressé au personnage, à son fameux exploit et au fait qu'icelui était pour le moins douteux...  

Hein, quoi ! Herzog n'aurait point le premier atteint l'un des sommets de l'Annapurna ? Si. Enfin... pas certain qu'il soit vraiment allé au bout du bout... Accompagné d'un guide de montagne, Louis Lachenal, qui mourra quelques années plus tard (1955) sans avoir publié ses mémoires (néanmoins écrites avec l'aide d'un nègre), Herzog aurait accepté qu'une photo soit prise plusieurs centaines de mètres avant le sommet...

Mais pourquoi ? Les deux hommes étaient mal en point, Momo avait perdu ses gants et ses pieds étaient gelés, ainsi que ceux de Lachenal. Mais ce dernier avait un autre gros problème, un problème moral : en tant que guide il se sentait responsable de "Momo", qui n'était pas alpiniste de métier mais, doté d'une forte personnalité et d'un grand courage physique, avait néanmoins été choisi pour être le patron de cette mission hautement patriotique. C'est peu dire qu'il souhaitait mordicus aller au bout, quitte à y laisser sa peau... "On va y rester, tu vas y rester, fait dire à Lachenal la "romancière" Félicité dans le dialogue qu'elle imagine entre ce guide chevronné et son père . "Mais Louis, on y est ! Tu ne peux pas me laisser tomber ! aurait hurlé [Herzog]" Pour Maurice, la présence de Lachenal est en effet "indispensable. Sans lui, "pas de photo, pas de sommet. Aucune preuve de l'avoir atteint." Ah, dépendre d'une autre personne, quelle plaie ! En altitude ou sur le plancher des vaches !  

Et alors ? Un accord aurait été trouvé entre les deux hommes. "Si je prends la photo, est-ce que tu descends ? On est si près", aurait laissé échapper Lachenal, à bout de forces et d'arguments, comprenant subitement qu'il ne convaincrait pas son compagnon de redescendre et de sauver leur vie, à tout le moins. Pour lui, l'Annapurna est un sommet comme un autre [...]. Mon père au contraire, poursuit Félicité, n'est pas un alpiniste de carrière, c'est un aventurier. L'Himalaya n'est pour lui que le prélude d'une autre vie." Une vie de héros encensé partout où il se rend ! Et qui se verra également offrir un poste de ministre des sports dans l'un des gouvernements Pompidou, sous le règne du Général De Gaulle...

Bref, il y aura une photo de prise. LA fameuse photo mondialement diffusée... Oui, celle, d'abord exclusivement publiée par Paris Match - "partenaire de l'opération" -  d'un Maurice Herzog triomphant, "debout sur l'arête en dévers, sous une corniche, alors que le cliché pris de Louis Lachenal montre ce dernier, assis, sombre, jetant à peine son regard à l'objectif. Personne, poursuit Félicité, ne s'intéressera jamais à cette dernière image."

Dommage... Oui. Et Félicité de conclure : "Ainsi a pu se produire un pacte inavouable entre ces deux hommes, unis pour le pire dans un mensonge de cordée et l'édification de ce qui deviendra un mythe national."

Félicité a-t-elle souffert de cette situation ? Oui, c'est peu de le dire et plus encore son frère, Laurent, qui s'est suicidé après une longue maladie (mentale ? psychique ?) assez bien décrite par sa soeur. Ce frère, ce Laurent, c'est lui qui a entraîné la naissance de cet ouvrage qui - je le répète - eût davantage mérité le titre de récit que celui de roman...

En fait Maurice Herzog était un "héros détestable" ! Et notamment aussi parce qu'il était un "prédateur sexuel" auprès duquel DSK ferait presque figure de garçon timide... Oui. Il y a une scène particulièrement pénible où Félicité, alors jeune adolescente, lit sous le soleil de Chamonix, en vacances. "Il faisait si chaud que je m'étais progressivement débarrassée de mes vêtements et j'étais alors pratiquement nue, un léger châle couvrant mes hanches [...] Une série de clics se fit entendre. Mon père avait compris cet épanchement comme une invitation à me photographier. Il avait sorti un appareil photo de professionnel que je ne lui avais jamais vu. C'était si rare que mon père s'intéresse à moi que je fus d'abord flattée. Puis un peu prise de court par ce qui se révélait être un reportage. Il me suggéra de m'allonger d'un côté, puis d'un autre, de me rasseoir en tailleur, de me tenir droite afin de me prendre sous le meilleur angle, de dos et de fesses. [...] Les photos se succédaient, puis, il s'approcha et, dressant son avant-bras tendu vers le haut, me murmura avec un petit rire de séducteur expérimenté qui vous veut du bien : "Tu verras, ma petite, comme toutes les femmes, c'est cela que tu aimeras, un sexe dur qui te fera bien jouir."

Quel obsédé sexuel ! Oui. Félicité encaisse le choc (elle en a vu d 'autres !) mais n'en pense pas moins : "S'il y avait eu alors un marché d'occasion des pères, je l'aurais cédé pour un franc symbolique."

Terrible ! Oui. Mais attendez la suite... Car le papa pervers "revint quelques jours après avec les clichés développés sur de grands tirages papier, satisfait de lui-même, les montrant à qui le voulait. Regardez ma jolie fille, disait-il alors que sa nouvelle femme, sidérée [...], réalisant subitement de quoi il s'agissait, s'avançait vers lui dans une attitude de supplique : "Non, non, Maurice... Maurice... Non pas elle, pas ta fille !"

Ce type est abject. Dieu merci le livre de Félicité ne se limite pas au portrait de "Momo" l'obsédé, loin s'en faut ! Il retrace aussi plusieurs tranches de vie de la famille de sa mère, Marie-Pierre de Cossé Brissac, fille du douzième duc de Brissac et de May Schneider, de la famille des Aciéries du Creusot. Félicité décrit ce milieu aristocratique sans prendre aucun gant et je l'avoue, avec la dent parfois très dure, surtout en ce qui concerne les événements de l'Occupation. Elle a un peu trop tendance, à mes yeux, à faire l'inverse de ma chère Régine Pernoud vantée plus haut, à savoir : regarder la réalité d'hier avec les lunettes et les préjugés d'aujourd'hui... Sa critique de Jean-Marie Le Pen, par exemple, est excessive. Il est vrai qu'elle vit dans un milieu qui ne peut qu'être farouchement anti-Front National... Je parle, bien sûr, du Front de Jean-Marie...

Tiens donc ! Eh oui, Félicité n'est pas seulement l'auteur(e) d'"Un Héros". C'est aussi - et avant tout - une banquière qui a travaillé moult années dans le "département des fusions-acquisitions" de la Banque Lazard, et notamment à New York, une expérience professionnelle qu'elle décrit avec beaucoup de réalisme dans son "roman"...

Cela doit être ennuyeux à lire cette partie de sa vie, non ? Aucunement ! C'est même l'un des passages que j'ai préférés car elle y décrit avec beaucoup de réalisme une énergumène qu'on souhaite ne jamais voir entrer dans sa propre famille ! Il s'agit de sa "grande soeur" de chez Lazard, "une psychopathe qui parvenait à se contenir en pensant à ses bonus de fin d'année, Ursula Käts, un ancien prix de beauté estonien, une tige de fer aux cheveux de lin" qui était entrée dans la finance dès que son physique lui interdit de parader sur les podiums en bikini...

Le genre de "championne du monde" que des grandes banques comme Lazard recherchent en priorité... Oui. Cette  Ursula " était dotée d'une capacité de travail surhumaine et d'un perfectionnisme maniaque. Non seulement elle produisait les meilleures modélisations mathématiques de la banque, les analyses financières les plus complexes mais également les plus esthétiquement présentées. Des jardins chiffrés à la française. Excel revisited by Le Nôtre : une vraie chienne de travail. Et une machine de guerre contre les hommes."

On s'en doute ! Sachez que j'ai connu des jeunes femmes qui avaient ce profil quand j'étais étudiant à Sciences Po... Je veux bien vous croire.  Toutefois, un jour, cette virago commença "à recevoir d'impromptus bouquets de roses, de tulipes flamboyantes et d'hortensias romantiques apportés avec célérité par le doorman émerveillé de porter d'autres colis que des pizzas. Ils étaient accompagnés d'une petite enveloppe calligraphiée à son prénom qu'elle glissait dans sa serviette de cuir d'une main languissante." Dès lors, ses collègues de travail "étaient convoqués alors au milieu d'un parterre de fleurs plantées dans son bureau"... Et une question commença à devenir obsédante : qui était assez fou pour aimer et vouloir séduire une femme pareille ?

Oui, qui ? Félicité l'a su avant tout le monde... Quand elle découvrit par hasard, chez un fleuriste d'une galerie marchande proche de la banque, la belle Ursula qui se commandait à elle-même les bouquets qu'elle recevait avec un message de sa propre main...

Quelle tristesse ! Oui, mais tellement prévisible dans cet univers où seule la réussite matérielle déchaîne des passions ! Bref, j'arrête là d'évoquer ce livre que je recommande car il offre d'excellents moments. Félicité Herzog, si vous me lisez avec vos beaux yeux, chapeau !

Est-ce la fin de vos lectures de livres écrits par des femmes ? Non. Il y a également la biographie de Bernadette Soubirous, écrite par une Lavalloise de grande qualité, Anne Bernet. Mais je vous propose d'en parler une autre fois car je ne veux pas fatiguer le lecteur... Je me contenterai, pour cette fois, des ouvrages de Régine, Fred et Félicité.

Proposition acceptée ! Nous tâcherons d'évoquer la sainte de Lourdes avec d'autres lectures religieuses que vous avez faites dernièrement, comme "Dieu ou rien", du cardinal guinéen Robert Sarah. Cela nous changera... A plus, cher JCG. A bientôt Bois-Renard et merci de m'avoir interrogé, une fois de plus. C'est toujours un plaisir de parler de ses lectures...