Les internautes, ces "abrutis euphoriques"

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C'est peu dire que Philippe Muray apprécie fort peu les internautes, qu'il tient le plus souvent pour des "abrutis euphoriques". A chacun de juger ! 

Les appels de la Toile

Dans Exorcismes Spirituels III, Philippe Muray (1945-2006) évoque ces gens qui ont répondu avec enthousiasme aux appels de la Toile. Il prétend qu’ils n’attendaient que ces appels pour occuper leurs journées et poursuivre quelques combats d’un genre douteux, car ils participent peu ou prou à l’effacement des «souverainetés particulières» qui faisaient le charme de l’ancien temps…

Effacement des frontières

Avant de parler des internautes, Muray revient sur le succès de la Toile…

Pour lui, si le «réseau des réseaux» a cartonné à partir de la seconde moitié des années 90, c’est parce qu’Internet est «contemporain d’une métamorphose anthropologique de première ampleur» : l’effacement des «anciennes fonctions», des «caractérisations psychologiques» et des «statuts différentiateurs d’autrefois».

Muray pense à l’effacement des frontières (se balader en bermuda au bout du monde n’impressionnait déjà plus personne !), des sexes (les métiers n’en avaient déjà plus, selon la formule d’une réclame célèbre), des générations (déjà, à 45 ans passés, maman s’habillait comme sa fille de 3e )…

Le téléphone mobile

Autre signe visible de cet effacement – de la vie privée cette fois – avant même la propagation d’Internet : « La façon obscène dont presque tout le monde, en quelques mois, s’était jeté sur le téléphone mobile pour en faire une occupation à temps plein, et publique » !

En clair, Muray dixit, quand Internet s’est répandu, le monde avait accompli sa dernière mutation : sa sortie de l’Histoire liée à la « Chute », du Jardin des Supplices ; et il n’y avait déjà presque plus de cadres, d’ouvriers, de paysans, de commerçants, de bourgeois et de prolétaires dignes de ce nom…

Dans le nouveau « parc d’abstraction » post-historique décrit par Muray dans son maître-livre  L’Empire du Bien, il n’y avait même plus ni femmes ni d’hommes ni familles…

Communautés, tribus

En revanche, existaient déjà des milliers de « communautés »,  « associations » et autres « tribus » composées de membres qui  « étaient parfaitement aptes (bien davantage en tout cas que les anciens habitants de la Terre) à endosser la livrée d’internautes qui leur était si aimablement proposée…»

En clair, ils n’attendaient que cet instrument – Internet - pour occuper leurs journées…

En parlant d’eux, bien sûr, de leur moi, de leurs goûts, de leur nombril ; en racontant leur existence, leurs hobbies, leurs «coups de cœur»…  Et aussi en allant cliquer – un peu, beaucoup, énormément - sur des sites dits de divertissement, ludiques ou pornographiques…

En s’inventant également de nouvelles existences virtuelles, «des deuxièmes vies dans des mondes qui n’existent nulle part…»

Sus à la vie privée !

Mais aussi, mais encore  – et cela horripile ce bon vivant de Muray viscéralement attaché à la liberté de vivre à sa guise – en continuant à faire sur le réseau des réseaux ce que ces membres de communautés, tribus et autres réseaux aiment le plus au monde :

« Dénoncer, persécuter, se plaindre, stigmatiser des «dérives verbales» impunies, réclamer de nouvelles lois scélérates, bref s’exprimer. Se venger, comme aurait dit Nietzsche. Laisser libre cours à son ressentiment, à sa méchanceté rénovée, mais sur une piste immatérielle et dans une ambiance grotesque de nouvelle innocence. »

Bref, grâce à Internet, achever « l’effacement de toutes les frontières » et « faire disparaître toutes les souverainetés particulières.» Y compris la plus importante, celle de la vie privée, « elle même devenue un préjugé qui doit être dépassé ».

Des abrutis euphoriques

Pour Philippe Muray, l’internaute, ce «personnage de la nouvelle comédie de boulevard dématérialisée» n’est, bien souvent, qu’ «un abruti euphorique s’exprimant en langue de cyberclone : « Y’a kelk’1 ???? « GTOQP !!! », « Koi 2 9 ? » « les ouacances, CT Koowl !!!) »

Sans oublier les codes – les :)))) ou les :(((( - qui permettent d’exprimer les humeurs de ceux qui passent l’essentiel de leur temps connectés devant un écran avec des interlocuteurs qui resteront virtuels le plus souvent…

Homo festivus

Pour «ces gens sans emploi, définitivement sans rôle, et abandonnés à l’horreur d’un monde de loisirs dont ils n’ont même pas le droit de s’avouer à eux-mêmes l’infamie », pour « ces personnages en quête de mensonge consolateur », Muray nous apprend qu’Internet est arrivé comme «une Providence».

«D’où la reconnaissance éternelle de ces populations vis-à-vis de leur bienfaiteur » duquel ils tirent désormais, une grande part de leur  légitimité à exister.

D’aucuns internautes  jugeront une fois de plus l’auteur des Exorcismes Spirituels excessif. Mais quiconque a déjà participé à un «forum» sur la Toile sait que Muray est dans le vrai…

Une fois de plus…