Philippe Muray par Pierre Jourde

doc_scanns_jc_068Certains auteurs savent parler de leurs confrères. C'est le cas de Pierre Jourde quand il évoque Philippe Muray dans son excellent Littérature monstre, sous le titre (page 512), Philippe Muray, Exorcismes spirituels III : Penser contre.

Ce texte est un peu long pour certains internautes mais il mérite néanmoins d'être cité dans son intégralité car il définit bien l'oeuvre de Muray. 

"Il existe encore quelques géants, rescapés des temps fabuleux. Dans le grand carnaval contemporain, fertile en figures de carton-pâte, certains ne sont plus capables de les voir. Ils sont trop grands pour les nains de la pensée, qui les confondent avec le paysage. Philippe Muray était l'un des derniers colosses. Une sorte de Vialatte (il publiait comme lui dans La Montagne), en plus violent. Sa voix avait la puissance de celle des prophètes. Dans ses chroniques effroyables et désopilantes, il faisait l'inventaire de l'apocalypse. Ce sont des cauchemars de Bosch, où le grotesque épouse l'hallucinant, où la terreur enfante le rire. A grands coups de piques et de railleries, Muray extermine les monstres issus du ventre fécond de la modernité :                    

Toute cette faune tératologique grouille dans la lumière inflexible de la fête obligatoire et généralisée. On assiste à la naissance du monstre absolu, de l'être appelé à remplacer l'homme et à instaurer l'"Empire du Bien" : homo festivus. Ayant évacué le Mal, constitutif de l'homme, et la contradiction, qui crée le réel, il vivra dans une "bacchanale idyllique" où la réalité aura été remplacée par l'extase prescrite.

C'est contre cet avenir que luttait Philippe Muray. L'un des rares écrivains qui sût encore penser, c'est-à-dire penser contre."