Roger Buard (III) : Les municipales de 77, l'ami Mitterrand, la trahison de Pinçon en 78...

Retrouvons le socialiste Roger Buard (1934-2009) après "l'épisode Falbalas" qui a contraint Simone à quitter son "bébé" et poursuivons la carrière de celui qui sera réélu en 1977 sur la liste Pinçon (photo ci-dessous) avant de se faire "piquer sa place" de candidat (par ce même Pinçon) aux législatives de 78 et de ne pas même être investi aux cantonales de 79 par son cher et vieux PS...

Cette affaire Falbalas -  inimaginable aujourd'hui - a terriblement fait souffrir Simone qui a dû supporter d'être ostracisée à cause des opinions politiques de son mari. Trop à gauche pour leurs amis (ou relations) de droite (qui avaient l'impression qu'ils les trahissaient en votant Mitterrand) et... trop à droite (trop bourgeois, surtout) pour leurs électeurs de gauche et les élus PS du conseil municipal, les Buard étaient systématiquement "à côté de la plaque" et, partant, rejetés par les deux camps ! Mais il ne pouvait être autrement en province où la reconnaissance sociale joue un rôle primordial. (Les "pauvres" n'invitent guère et les "riches" n'invitent pas ceux qui sont susceptibles de parler politique à table, surtout s'ils pensent différemment !)

Simone, groupie en cheffe de son Roger adulé, en souffrira beaucoup et plus encore leurs deux garçons, Frédéric (qui s’est donné la mort à 56 ans en 2012) et Olivier (un musicien de qualité - mais hélas méconnu - qui vit loin de Laval mais y revient fréquemment).

Au nom des idées politiques qu'il défendait, idées que personnellement j'ai toujours combattues, Roger Buard a également payé familialement le choix de sa société socialiste idéale fort peu prisée, avouons-le, par son beau-frère Jacques Chezot qui fut, de longues années, le plus gros commerçant de la ville à la tête des Grands Magasins éponymes créés par son grand-père Jean en 1933. Jacques Chezot qui, après avoir été l'un des meilleurs amis des Buard rencontra -grâce à eux - et épousa -grâce à Cupidon - la jeune soeur de Simone... qui travailla un temps chez... Falbalas...

Plutôt classé à droite bien qu'éloigné du débat politique en bon commerçant qui se respecte, Jacques Chezot éprouvait à l'égard de Mitterrand des sentiments diamétralement opposés à ceux de son beau-frère... Autant dire que les réunions de famille ne furent guère nombreuses pendant les années où Mitterrand gravit le chemin du pouvoir avant de l'exercer en jouisseur de compétition pendant ses deux septennats complets (du jamais vu dans les annales de la Ve République).

Mais Roger, au nom de ses idées, de son idéal socialiste, de la vénération qu'il témoignait pour son "grand homme", acceptait sans broncher cette mise en quarantaine familiale et sociale qu'il avait, il est vrai, déclenchée.

François Mitterrand de nouveau chez les Buard

Ce qu'il acceptait moins bien, en revanche, c'était d'être snobé par les camarades de son bord, voire de se faire rouler dans la farine...

Mais n'anticipons pas car, dans la seconde moitié des années 70, Roger est une figure incontournable du PS 53, une figure qui sait s'exprimer et qui, autre signe distinctif,  côtoie régulièrement à Paris ou chez lui de "grands noms" de la maison Mitterrand.

Il a également reçu - une fois de plus - son grand homme chez lui après une réunion à la mairie de Laval. Pour un dîner mais cette fois sans la nuitée place Hardy-de-Lévaré...

C'était en 1974, le 9 septembre exactement...

"Ce jour-là, se souvient Simone Buard, dans la matinée, François Mitterrand avait téléphoné à la maison pour dire à mon mari qu’il se trouvait à Saint-Brieuc et serait dans l’après-midi à Laval chez nous vers 16 heures mais qu’il serait accompagné d'une personne qui l’attendrait à la maison pendant la réunion prévue vers 18 h à la mairie." Le Premier secrétaire s'invitait également à dîner chez Roger et Simone, avant de repartir pour Paris.

La femme en question, Margot, était une grande amie de Mitterrand qui l'avait connue au Quartier latin quand il était étudiant avec un autre François (qui épouserait Margot et ferait son chemin chez L'Oréal), François Dalle. C'était "une jolie femme, indique Simone, sensiblement du même âge que François, très parisienne, distinguée et réservée, très XVIème. Elle était vêtue d’un ensemble pantalon de Ted Lapidus et avait dans ses bras, un yorkshire qui s’appelait Piou Piou, un adorable petit chien la mèche retenue au-dessus de sa tête par un petit élastique pour que les poils ne lui rentrent pas dans les yeux." Le genre à fréquenter davantage Falbalas que les meetings du PS de l'époque...

Simone est ravie de la recevoir et les deux femmes, suite à cette longue rencontre, vont devenir amies et se fréquenter pendant une bonne trentaine d'années...

Observatrice, l'ancienne patronne de Falbalas se souvient que François Mitterrand était, lui, ce jour-là, "vêtu d’une veste sport avec un pull de laine marron à col roulé."Avant de partir pour l'hôtel de ville avec Roger, "FM"demanda à Simone comme s'il la connaissait depuis toujours : "Qu’en pensez-vous, suis-je présentable ainsi où dois-je mettre cravate et chemise ?" Je lui répondis qu’il était très attendu et qu’il y aurait forcément des journalistes et des photos prises de lui. "Très bien", me dit-il et aussitôt il enlève sa veste et s’apprête à ôter son pull quand je lui dis : "Mettez-vous dans le vestiaire où il y a une glace, vous y serez plus à l’aise." Il avait une sacoche avec lui dans laquelle il y avait une chemise. Je lui proposai une cravate et il me dit qu’il en avait une dans son sac. Puis, chose faite, il remit sa veste et se présenta devant moi en me demandant comment ça allait. "Oui, vous êtes très bien" Et Simone d'ajouter que ces paroles furent échangées " len nous regardant l'un et l'autre et en nous souriant d’un air de connivence."

Margot et la belle Nelly

"Mon mari et François partirent pour la mairie." Et Margot de rester à papoter avec Simone jusqu'à l'heure du dîner, que la maîtresse de maison avait, cette fois, préparé en avance : foie gras, poulet fermier (qu'ils mangeraient froid avec un accompagnement de légumes-fromage- salade), marquise au chocolat avec de la crème anglaise. Les hommes revinrent et tout ce petit monde passa à table en compagnie du second fils de Roger et Simone, Olivier, et d'une autre femme, que Roger avait invitée pour la réunion à la mairie. C’était la femme d’un de ses clients vétérinaires dans la Creuse, à Bonnat. Une certaine Nelly Commergnat...

"Cette femme s’ennuyait comme un rat mort dans cette petite ville de la Creuse, perdue dans la campagne et mon mari l’avait encouragée à s’intéresser à la politique. Ainsi elle s’était faite élire conseillère municipale puis maire de Bonnat en 1973 mais comme elle avait des ambitions et militait au sein du parti, c’était important pour elle de faire connaissance avec Mitterrand. Elle était jolie, elle le savait et comptait beaucoup sur son charme pour séduire François. Margot et moi-même n’étions pas du tout dupes. Pendant le repas Mitterrand ne sembla pas tomber sous son charme mais fut très courtois " Il parla surtout, dans un premier temps, avec Roger des suites à donner aux décisions qui avaient été prises lors de la réunion à la mairie de Laval...

Compliments pour Simone...

"Puis nous avons abordé d’autres sujets dont l’un concernait les années de pension que Mitterrand a passées chez les jésuites. FM m’interrogeant sur ces années d’éducation à l’adolescence, je vins également à lui dire que je les avais passées chez les bonnes sœurs. C'est alors qu'il me fit cette réflexion : "Madame je ne sais où vous avez été élevée mais vous avez été bien élevée." Je le remerciai pour ce compliment. Soudain la cloche sonna. Nous n’attendions personne mais mon fils Olivier, qui dînait avec nous, s’est levé en disant "Excusez-moi c’est pour moi." Il ouvrit la porte et revint avec un camarade."

"Devant le regard interrogateur de son père, il dit qu’ils avaient prévu ce soir-là de faire une répétition de musique. Tout de suite Mitterrand interrogea Olivier sur sa musique. « Bien, très bien, dit-il, et où allez-vous faire cette musique ?" Avant de nous quitter avec son ami, Olivier lui répondit qu’ils avaient constitué un petit groupe et loué une petite fermette aux alentours de Laval afin de pouvoir répéter. Des années plus tard, alors que nous étions à l’Elysée pour la décoration de la légion d’honneur de mon mari, en voyant Olivier, FM lui dit : "C’est vous, le musicien." Il n’avait pas oublié ! ça c’est tout Mitterrand, sa mémoire, l’attention qu’il portait aux personnes. Olivier a été surpris qu’il se souvienne de cette anecdote près de dix ans après...."

"Nous arrivions à la fin de notre repas et alors que nous dégustions la marquise au chocolat, FM me fit le plus beau compliment que l’on puisse faire à une maîtresse de maison... Il me dit que c’était délicieux et que ce dessert lui rappelait sa mère, la cuisine de sa mère. J’ai été très touchée et je le lui ai dit. Le dîner prenait fin, il était assez tard et Roger, connaissant le peu de goût du Président pour la conduite, lui  proposa de coucher à la maison. FM semblait prêt à accepter mais il jeta un regard interrogateur vers Margot qui, elle, hésitait."

"De mon côté, je trouvais cette proposition bien embarrassante, je disposais d’une chambre d’ami mais ne sachant s’ils la partageaient tous les deux, comment poser la question ? Heureusement Margot sentit ce que je pensais et dit à FM : "Non, je préfère que nous rentrions ce soir avec la voiture. - Bien", dit FM. Je fus soulagée et nous nous fîmes nos adieux en nous promettant avec Margot de nous revoir, ce qui fut le cas. Nelly Commergnat, elle, repartait pour la Creuse le lendemain mais avait pris une chambre d’hôtel. Elle poursuivit sa carrière politique mais nous ne la revîmes jamais...

Mais revenons aux municipales de 1977...

En 1977, pour les municipales, Roger est tout naturellement sur la liste de Pinçon. Sans qu'il le sache, il est" au sommet" de sa carrière politique : "ami" de Dieu le Père et de certaines huiles de la "Mitterrandie", premier secrétaire fédéral du PS et, à Paris, membre du comité directeur national, adjoint au maire de Laval et conseiller général de Laval Sud-Est.

Comme il l'écrira lui-même dans un courrier : "Tous ces postes de responsabilités étaient les fruits de onze années de militantisme au cours desquelles j’ai amassé un capital de confiance et d’honnêteté auprès de très nombreux mayennais." C'est vrai qu'il en a organisé des réunions, distribué des tracts, fait des promesses électorale, balancé des critiques contre la droite et le grand capital, chanté des Internationale(s)...

La chute est proche, mais Roger ne le sait pas...

Pour les municipales de mars 1977, quatre listes vont s'affronter à Laval : deux dites de droite (l'une emmenée par le député "Buron des Buvettes" et l'autre, qui se veut apolitique, par un "p'tit nouveau" sur la scène politique locale, François d'Aubert) ; deux de gauche, ce qui ne manque pas de surprendre car, depuis le 26 juin 1972, un programme commun de gouvernement a été signé entre les chefs des trois plus grandes familles de la gauche française : François Mitterrand pour le PS, Georges Marchais pour le PC et Robert Fabre pour le Mouvement des Radicaux de Gauche (ex-Parti Radical Socialiste).

Les socialistes d'un côté, les communistes de l'autre

Pourquoi les "cocos" ne font-ils pas partie de la liste Pinçon ? Roger s'en explique à Ouest-France :  "La section de Laval du PS respecte les accords nationaux : une motion votée lors de la convention nationale du PS réunie les 15 et 16 mai à Dijon permet à une section d’une ville d’au moins 30 000 habitants de constituer une liste homogène si elle le décide pour des raisons stratégiques. La notion de « meilleur accord possible » exclut tout automatisme." Les socialos ont ainsi gagné des voix socialisantes qui auraient été perdues si les cocos avaient été dans le coup…

"Les communistes de Laval ayant passé leur temps à critiquer les socialistes, écrit-il également, les électeurs n’auraient pas compris que, subitement,les socialistes de "Laval demain" se lient avec eux" ! Il reviendra sur ce point - très important pour lui - dans une lettre de 1983 adressée à son ancien suppléant de 1968, le sieur Houdin : "J’ai estimé avec d’autres que la morale politique interdisait de donner une prime à leur malhonnêteté politique ; un seul communiste sur notre liste de 1977 ne nous aurait pas donné la pureté idéologique et révolutionnaire qu’ils nous refusaient quand ils n’étaient pas à nos côtés."

Et de revenir sur son combat : "Pendant un an, au comité directeur où j’allais tous les deux mois, j’ai plaidé le dossier de l’exception de Laval en dépit des pressions de certains qui ont su me le faire payer plus tard. Il doit rester suffisamment de mémoire à Claude Martin pour qu’il se souvienne de la dernière séance du comité directeur, à laquelle je l’avais emmené et où il m’a vu et entendu défendre le dossier de Laval et emporter la décision."

On aurait pu également trouver curieux que des dirigeants communistes souhaitent rejoindre une équipe qu’ils ont passé des années à critiquer ! Les communistes demanderont néanmoins un rendez-vous à André Pinçon mais après avoir déposé leur liste en préfecture ! Une liste qui porte un nom à coucher dehors (ou dans un goulag !) : Union Démocratique du Programme Commun pour une Gestion Sociale et Humaine.

Cette liste est menée par un directeur d'établissement, Elie Boy, et comprend, entre autres : Arlette Morin, René Thoraval, Gérard Ricou, le sympathique Jacques Poirier... et Paul Paris, le permanent du PC, lequel ne perd pas, Roger Buard a eu raison de le signaler, une occasion d'attaquer le PS : " En refusant de s'allier avec nous, le PS espère conserver l'électorat de droite qu'il avait pu avoir en 1971 avec Robert Buron et la caution du docteur Le Basser..."

Bien vu, non ?

La victoire de Pinçon

Menée par le maire sortant généralement vêtu d'un costume en velours noir, André Pinçon, la liste du Parti Socialiste s'intitule Liste d'Union de la Gauche Démocratique. Elle comprend plusieurs personnalités de gauche encore bien connues de nombreux "vieux" Lavallois : Marie-Louise Buron, Albert Legendre (le père de la bibliothèque qui porte son nom), Nicolas Barberot (le chef d'entreprise, eh oui ! de gauche à l'époque), Jean-Claude Blin, Jean-Yves Gougeon, Francis Roussel, Yves Patoux (maire de Laval de 1993 à 1995), André Saget, Serge Rillé alias "Moumoutte" ... 

Mais Yves Masfaraud, responsable des Socialistes Démocrates, n'en fit pas partie, qui préféra rejoindre la liste de droite de Pierre Buron  "Laval Renouveau" car, confia-t-il, les deux têtes de liste de gauche, malgré leur volonté de concourir séparément, sont toutes les deux favorables au programme commun qui implique la présence de ministres communistes au Gouvernement !"

Une présence insupportable pour nombre de personnalités de gauche.

La victoire de Pinçon est nette et sans bavure.

Ainsi que la victoire de la gauche sur l'ensemble du territoire national... La droite giscardienne commence à trembler... D'autant que Chirac, à la tête d'un RPR créé uniquement pour satisfaire sa volonté de puissance politique, ne lui fait aucun cadeau... Pour savourer sa victoire et se préparer à la conquête du pouvoir législatif, le PS se réunit en congrès à Nantes. Bien sûr, Roger et Simone en seront. Mieux ! Ils partageront une nouvelle fois l'intimité du Premier secrétaire lors de trois repas que Simone n'oubliera jamais...

(Le congrès de Nantes, pour ceux que l'histoire du PS intéresse, est celui où Rocard expliqua pour la première fois que deux cultures existaient dans la gauche française, celui aussi où les socialistes adoptèrent - à la demande impérative de Mitterrand - l'hymne composé par Mikis Théodorakis et Hubert Pagani, "Changer la vie" (voir plus loin).)

Le déjeuner de Sainte-Marguerite

"Un matin, raconte Simone, FM  téléphona à la maison ; il se souvenait que nous avions une villa à Saint-Marguerite et nous annonça qu’il viendrait y déjeuner le jour du congrès. La maison n’étant pas encore ouverte en vue des futures vacances, je demandai au jardinier de bien vouloir passer pour voir si le jardin était en bon état. J’arrivais la veille du congrès à Sainte-Margueritte afin de préparer la maison et prévoir le menu que je tenais à préparer moi-même."

"J’avais commandé chez mon boucher de Laval deux cotes de bœuf que nous mangerions avec une béarnaise que je fis moi-même. J’avais prévu des fruits de mer en entrée et, bien entendu, je fis une marquise au chocolat puisque FM en était friand. Il nous avait prévenus qu’il serait accompagné de Georges Dayan et de son épouse et que Marguerite Dalle [la fameuse Margot déjà évoquée] nous rejoindrait pour déjeuner puisqu’elle était à La Baule."

"Tout le monde attendait le Président à Nantes : militants, journalistes… Mais FM  n'y arriva point et personne ne savait où il était... Hormis Roger, bien sûr, qui l'attendait à la gare de Pornichet où il descendit du train avec le couple Dayan. Le repas fut agréable et le Président aimable et gentil. Dans mon souvenir il n'y fut point question de politique. Mes hôtes apprécièrent ma cuisine (j’ai toujours fait en sorte de ne pas avoir de personnel parce que je souhaitais la discrétion, pas question que quelqu’un puisse aller bavarder et raconter ce qui se passait à la maison. Je voulais que FM et ses amis soient à l’aise et parlent de ce qu’ils voulaient sans témoins.)"

"Ma passion, c'est ma femme !"

"Le sujet de la conversation glissa je ne sais plus comment sur les passions et fit le tour de la table. A un moment FM demanda à mon mari : "Et vous, Roger, quelle est votre passion ?" J’étais alors en train de ranger les assiettes et faillis répondre à sa place en disant, bien entendu, que c’était la politique mais je me retins, le temps d'entendre alors mon mari lui répondre : « Ma passion, c’est ma femme." J’ai cru que l’assiette allait me tomber des mains… FM leva alors la tête vers moi et dit à Roger en me regardant : "Je vous comprends."

"Je souris et dis à mon mari que j’étais très flattée de sa réponse. Le déjeuner toucha à sa fin, il était plus de 15 h 30. FM n’avait pas du tout l’air pressé, alors qu'on l'attendait à Nantes vers 16 heures. Au moment de gagner la capitale historique de la Bretagne, "il me dit qu'il comptait sur ma présence pour la fête qui devait se dérouler ce soir, après les débats entre les militants et le comité directeur, fête où je n'avais pas l'intention de me rendre mais que je ne pouvais plus refuser désormais... Nous nous sommes donc quittés en nous disant « A tout à l’heure !"

"En attendant, Roger fit office de chauffeur avec FM  à ses côtés et Georges Dayan à l’arrière. Sachant qu'ils avaient pris du retard, Roger conduisait assez vite sa Mercedes ; FM, lui, se reposait, faisait une petite sieste. Mais quand il s’aperçut que la voiture fonçait il fit signe à Roger avec la main d'aller moins  vite. C’est ce que mon mari m’a raconté ensuite... Car pendant qu'ils se dirigeaient vers Nantes, j'avais toute la maison à remettre en état... Je les rejoignis plus tard avec l'aide de Frédéric, qui s'était débrouillé pour trouver une voiture afin de venir me chercher (Il était à Nantes avec le service d’ordre et vint me chercher quand il sut que FM voulait que je vienne à la fête).

Théodorakis préféré à Fugain

"J’arrivais à Nantes où j’ai pu assister à la fête dans une tribune juste derrière FM . Dans l’après-midi avaient eu lieu les débats entre courants destinés à choisir la stratégie du parti. C’est pour ce jour-là qu’un hymne avait été créé pour devenir la chanson du parti : « Le chiffon rouge ». Belle musique et excellentes paroles, j’avais trouvé que cette chanson de Fugain était très réussie mais FM, lui, s'était emballé pour la chanson de son ami Théodorakis, qui était présent, et qu'il a fallu chanter. Tout le monde devait chanter mais presque personne ne la connaissait, la musique était trop typée, elle ne correspondait en rien à l’hymne du parti. Je voyais FM devant moi sur lequel les caméras étaient braquées essayant de chanter (faux, d’ailleurs) et comme il ne connaissait pas le texte, il essayait de suivre les autres... Cette chanson fut d’ailleurs un fiasco, plus jamais nous ne l’avons réentendue. Ce qui est dommage c’est que celle de Fugain ne soit pas revenue car elle était très bien. Elle a disparu elle aussi !"

"Après cette fête, FM voulait dîner avec les membres du comité directeur et quelques autres personnes. J’étais priée de les accompagner et d’attendre la fin de leurs débats - pour définir la stratégie du lendemain - car je n'avais d'autre choix que de rentrer à Sainte-Marguerite avec mon mari qui, bien sûr, raffolait de ce genre de réunion..."

Le dîner avec Dieu le Père

"Nous nous retrouvâmes environ à 25 personnes, aux alentours de Nantes dans un petit restaurant qui voulut bien accueillir tout ce monde sans avoir été prévenu auparavant. A 10 ou 11 heures du soir. Qu’est-ce ce que je faisais là moi qui déteste toutes ces réunions stratégiques ? Je n’y avais pas ma place. J’aurais préféré être chez moi. Il y avait du beau monde, pourtant ! des gens du comité directeur : Rocard, Chevènement, Dayan, Jean-Claude Colliard, un ami de Roger et bien d’autres dont je ne me souviens plus. La discussion était politique et tous écoutaient FM religieusement. A un moment, ce dernier prononça une phrase qui me semblait si évidente que je ne pus m'empêcher de lâcher à haute et intelligible voix un  « évidemment ». Tous me regardèrent comme si j’avais commis le sacrilège d’avoir osé donner un avis pendant cette « sainte messe ».

"FM me jeta un coup d’œil et je remis mon nez dans mon assiette. J’avais compris que l’on n’intervenait pas pendant que le Seigneur s'exprimait. J’étais fatiguée et n’avais, je l'avoue, qu’une envie : que le repas se termine et que je puisse trouver quelqu’un pour me reconduire à Sainte-Marguerite. Le repas prit fin mais la discussion allait encore se poursuivre jusque tard dans la nuit. Roger cherchait quelqu’un qui rentrait sur La Baule et c’est avec Serge Moati, dont l’épouse venait d’avoir un bébé, que je repartis en compagnie des Dayan. Le célèbre journaliste a bien voulu me raccompagner à Sainte-Marguerite, qui était sur son chemin."

"Je ne revis Frédéric et Roger que le lendemain matin, lors du petit-déjeuner où  nous nous racontâmes les événements de la journée passée. Roger narra la préparation du congrès, moi la fin de ma journée avec Marguerite et Irène à La Baule avant d’aller à Nantes et Frédéric, ce qu’il avait fait avec le service d’ordre dont il faisait partie. Après nos récits respectifs nous traçâmes ensemble les étapes de la dernière journée du congrès. Roger repartait dans la matinée, nous devions nous retrouver pour le déjeuner à La Baule chez Margot, avant la clôture du congrès où FM devait prononcer son grand discours."

Georges et Irène Dayan

"Avant de poursuivre mon récit, deux mots sur Irène et Georges Dayan, que j'appréciais beaucoup. Il faut savoir que Georges tutoyait François Mitterrand. On disait que c'était le meilleur ami de celui qui deviendrait Président de la république deux ans après la mort de Georges, lequel avait beaucoup d’élégance et d’humour. Il savait contredire FM lors des conversations et l’on sentait entre les deux hommes une grande connivence intellectuelle mêlée d’une amitié profonde et d’un respect réciproque."

Un dernier point, Simone, sur les Dayan ? " Alors que j’en étais à l'avant-dernier jour du congrès de Nantes, j’avais fait la connaissance de leur fille qui était arrivée par avion à Nantes et devait être des nôtres pour le déjeuner du midi chez Margot à La Baule où j'arrivais, entre 12 h 30 et 13 h, vêtue d’un tailleur pied de poule marine et blanc bordé d’un liseré marine, corsage blanc, petit catogan dans la nuque. Roger, lui, débarqua avec FM et Georges Dayan. Quant à Irène, elle arriva avec sa fille qui ne cessa de téléphoner à Paris ( sa mère lui en fit le reproche en lui disant qu’elle ne devrait pas appeler si souvent son ami. Elle eut pour seule réponse : « Je contrôle. »)

(Pourquoi, allez-vous me demander, noter ces anecdotes a priori sans intérêt ? Mais parce que le moindre des pets de Mitterrand suscite une telle fascination chez les journalistes qu'un jour, peut-être, l'un d'eux écrira un livre de trois cent pages sur les agapes de Tonton lors du Congrès de Nantes de 1977... Dans ce cas, qu'il contacte Simone Buard...)

Un déjeuner inoubliable

"La salle à manger de l’appartement où nous allions déjeuner se trouvait face à la mer plage Benoît, un rez-de-chaussée surélevé et donnant sur un balcon, c’était assez arboré et nous pouvions être sur la terrasse sans être vus des passants sur l’esplanade. Il faisait très beau, la mer s’était retirée au loin et la grève silencieuse s’étendait devant nous habitée par le cri des mouettes qui virevoltaient pour se nourrir sur le sable humide, les couleurs dignes d’une aquarelle dans les gris bleu, c’était superbe."

"Les "Nantais" étaient arrivés, Hélène, la délicieuse employée de Marguerite depuis longtemps, discrète et efficace, avait préparé le déjeuner. Les journalistes et la presse avaient suivi la voiture de Roger et voyant la voiture prendre la direction du Royal et de L’Hermitage ils étaient convaincus de retrouver FM dans l’un de ces établissements. Et non, il n’y était pas ! Il n’était pas loin mais ils ne surent jamais où… Donc nous étions tranquilles pour le déjeuner..." Auquel participèrent également l'attachée de presse Christine Cottin, Paul Quilès, Edith Cresson, Michel Rocard, Charles Hernu, Pierre Bérégovoy, Georges Bauchamp, Georges Lemoine...

Mitterrand impressionne par sa culture

"Ce fut un déjeuner extraordinaire, l’ambiance des convives, le cadre de l’appartement et de la vue qui s’étendait devant nos yeux... La conversation arriva sur Israël et, pendant deux heures, FM nous fit le récit de la Genèse avec des détails et une érudition parfaite. Nous étions tous pendus à ses lèvres et l’écoutions religieusement. Moi qui n’étais jamais allée en Israël alors qu’il parlait j’imaginais les paysages qu’il décrivait et je vis les lieux en question tant sa narration était précise. Ce fut un moment de ma vie inoubliable."

"Personne ne pensait plus au congrès. Nous étions ailleurs, dans un monde du passé. FM avait quelque chose de fascinant lorsqu’il partait dans ses récits ; il avait une telle culture, il en était imbibé, il transpirait d’intelligence, c’est cela qui m’intimidait, chez lui, dès la première fois que je l’ai rencontré, il savait pourtant mettre à l’aise et se mettre à la portée des gens qu’il côtoyait mais cette autorité naturelle, cette élégance dans ses propos, sa personnalité, j’étais toujours impressionnée au point d’en être bête car je n’osais pas lui parler librement, j’avais toujours une retenue même quand il était chez moi..."

"Mais il fallut quitter La Baule parce que l’après-midi était déjà bien entamée, il fallait repartir pour Nantes où dans la soirée François Mitterrand devait prononcer un discours. Son grand discours. Celui de clôture. Il ne semblait pas s’en préoccuper, le sujet ne fut même pas abordé pendant le repas. Et, encore une fois au moment de nous quitter, il me dit "A ce soir" en étant certain que j’irais à Nantes alors que je n’avais pas plus que ça envie d’y aller...  Frédéric eut encore la gentillesse de se débrouiller pour trouver un moyen de me véhiculer pour rejoindre le chef-lieu de la Loire Atlantique."

Le discours du Président

"J’arrivais donc vers 7 heures du soir où se passait le meeting. La salle était comble. Dès l’entrée, sur la gauche, il y avait l’estrade où se trouvaient déjà FM et les membres du comité directeur dont mon mari que je n’osais pas aller saluer mais, étant obligée de passer devant l’estrade pour trouver un point de chute, Roger m’aperçut et je lui fis bonjour de la main discrètement. FM me vit aussi et me fit un geste amical qui, bien entendu, fut remarqué et comme je n’étais pas connue bien des personnes se demandèrent à qui FM faisait ce signe..."

(Une nouvelle maîtresse de plus, une ?) 

"J’eus un regard circulaire rapide afin de pouvoir me fondre immédiatement dans la foule et m’asseoir. J’aperçus une chaise vide qui n’était évidemment pas pour moi, car située juste derrière Danielle Mitterrand et les Hanin, à la deuxième ou troisième rangée. Je suis allée m’y asseoir quand même en pensant que quelqu’un allait s’y opposer mais, à ma grande surprise, on m’a laissé faire et personne n’est venu me déloger. Ouf ! J’étais prête pour la grand-messe qui allait commencer..."

"FM fit un discours de trois heures, brillant comme à son habitude, sans une note, peut-être une ou deux fiches et encore ! je n’en suis pas sûre. Connaissant l’emploi du temps de sa journée, je m’émerveillais tout de même de la façon qu’il avait de se concentrer aussi facilement et rapidement, toutes les personnes avec qui il a travaillé en témoignent aussi. Il était hors du commun. Un grand homme d’Etat. Quel bonheur d’avoir pu l’approcher si souvent dans nos relations d’amitié en petit comité. Je dois cela à mon mari et lui en suis reconnaissante. Roger et FM étaient très liés et leurs rencontres fréquentes avaient créé des liens qui dépassaient le cadre de la politique."

Nous aurions pu en profiter...

"J'en veux pour preuve qu'il nous a souvent invités à aller le voir à Latché où nous ne sommes jamais allés, ce qu'il nous a souvent reproché. Mais c'était trop difficile pour nous d’arriver au pied levé car les invitations tombaient à la dernière minute...  Je fus moi-même souvent invitée à aller à Brégançon car Margot et sa fille G. y séjournaient chaque été, comme elles allaient souvent à La Lanterne passer le weekend..."

"J’aurais pu profiter aisément de toutes ces invitations mais considérais que ce n’était pas ma place. Lorsque je me suis trouvée seule avec FM j’aurais pu lui demander bien des choses...  mais je ne le fis point, je n’étais pas non plus une intrigante ; beaucoup de femmes auraient profité de cette amitié pour obtenir des avantages, je n’ai jamais cherché à faire cela, j’étais déjà très honorée d’avoir des relations amicales, d’être invitée à des déjeuners à l’Elysée et de pouvoir correspondre de temps en temps avec lui. Je n’en parlais jamais avec quiconque."

"Mon rôle était d’être la femme de mon mari, d’être avec lui lorsqu’il me le demandait et d’être là où j’étais invitée avec lui. Roger, quant à lui, n’était pas un courtisan, contrairement à beaucoup de ses amis qui collaient aux basques de FM afin d’être vus avec lui. Ce n’était pas le cas de Roger, j'insiste : il était où il fallait quand il fallait mais ne cherchait jamais à en faire plus, son amitié avec François Mitterrand se situait sur un autre plan."

Et c'est surtout pour cela que Roger Buard mérite le respect.

"Il voulait aider et servir le Président sur le plan politique, avec les moyens qui étaient les siens, se battre pour défendre ses idées, essayer d’amener le département de la Mayenne à défendre sa cause. "

Les législatives de 1978

Mais revenons à la situation lavalloise et aux échéances électorales qui se dessinent : les législatives de 1978...

La gauche a une chance réelle de remporter l'élection - du moins le croit-elle - et de lancer ce qui, finalement, n'arrivera que huit ans plus tard, en 1986 : la "cohabitation", à savoir le gouvernement du pays par un président de la république et une assemblée nationale de bords opposés. Giscard à l'Elysée et Mitterrand à Matignon, par exemple.

Oui, la victoire est possible et Giscard, dans un discours, à Verdun-sur-le-Doubs, prévient qu'il ne pourra s'opposer à la réalisation d'un programme socialo-communiste si la gauche venait à l'emporter aux législatives... Il faut que les choses soient très claires, répète-t-il...

Roger Buard croit à la victoire de son camp, forcément. "Voilà déjà plus de dix ans que Roger avait porté à bout de bras le socialisme en Mayenne. Il avait beaucoup travaillé et si député socialiste il y aurait, c’était à lui que devait revenir le poste", indique Simone.

Dans son esprit les choses étaient claires, "Pinçon gardait la mairie et Roger se lançait, pour la troisième fois, à la conquête d'un mandat de député..."

C'était, si l'on peut dire, son tour...

En 1977, juste après les municipales, Ouest France avait titré, à l'attention de Pinçon, qui venait d'être élu pour la première fois maire de Laval par le peuple (en 1973, après la mort de Buron, il l'avait seulement été par le conseil municipal) : "Et maintenant 1978 ?" "Le maire de Laval a dépensé beaucoup d’énergie ces derniers jours pour démentir une affirmation qui le faisait candidat aux législatives l’année prochaine, écrit le journaliste. On peut donc supposer qu’il ne se présentera pas et que Roger Buard, qui fit campagne en 73 à la place de Robert Buron malade, s’estimera le mieux placé dans cette affaire. On verra le moment venu… »

Et bien, on a vu !

Et Roger Buard fut cocu comme devant !

André Pinçon prend sa place !

Dès novembre 1977, Pinçon est le candidat du PS malgré le fait qu’il ne soit pas au parti depuis trois ans ! Il n'était en effet inscrit que depuis septembre 1976...

« Pour ce qui est des trois ans, il y a eu effectivement dérogation », écrira Roger dans une note. Mais il n'avouera jamais que c'est lui-même qui a obtenu la dérogation de celui qui deviendra son ennemi ! Pas plus qu’il ne dira non plus qu'il avait obtenu que Laval, aux dernières municipales, bénéficiât de la part de la convention nationale, de l’absence des candidats du PC.

L'homme n'aime pas se mettre en avant... Mais d'aucuns savent bien que c'est lui qui a permis à Pinçon de devenir socialiste et, partant, de gagner la mairie. Le Ouest-France va quand même lui rendre justice. Car il indique que ce choix [Pinçon candidat] a entraîné quelques remous ou surprises au sein du PS local.

Mais ce choix de Pinçon comment a-t-il été possible ?

Il a été le fruit d'un vote des adhérents du PS invités à se prononcer entre le camarade André et le camarade Roger." Roger était à peu près certain d’être choisi, se souvient Simone,  mais il se trompait ! Droit comme il était il ne se méfiait pas de certaines ambitions. Il se disait que Pinçon avait été élu maire à la suite de la mort de Buron grâce à Marie-Louise qui savait que son mari avait endetté Laval et qu'un comptable s'imposait en lieu et place de son mari. Elle avait appuyé fortement la candidature de Pinçon parce qu’il était comptable, qu'il connaissait les chiffres, savait lire les bilans."

Oui, mais ça, c'était valable en 1973.

Cinq ans plus tard, le novice choisi pour ses compétences comptables avait eu le temps de devenir un politique...

Il était surtout FM, le sympathique André. Hein, quoi ? FM, vous voulez dire "proche de François Mitterrand" ? Mais non :  franc-maçon ! Ainsi que la plupart de ses adjoints et un grand nombre d'élus du conseil municipal... Une "spécialité" lavalloise (une demi douzaine de loges en 2016). Ce qui n'était pas le cas de Roger - contrairement à ce que certains Lavallois de droite ont pu penser... On lui a proposé d'entrer dans la danse et de devenir un "frère" mais il a toujours refusé de jouer à ce jeu. Il en a même parlé une fois à un journaliste qui osa évoquer ce refus dans un article... O scandale ! On ne parle pas de ces choses-là, voyons !, ce serait mettre la vie des "frères" au grand jour et - qui sait ? - déclencher la haine et la fureur de vieux royalistes armés jusqu'aux dents...

Roger avait refusé de devenir "frangin" comme il avait toujours refusé d’appartenir à d’autres clubs moins discrets (genre Jeune Chambre Economique) afin "qu'il n'y ait pas d’interférences dans les décisions qu’il aurait à prendre en tant qu'élu du peuple"...

C'est tout à son honneur !

Et c'est d'ailleurs la principale raison pour laquelle je respecte Roger Buard (et que j'ai accepté d'interroger longuement sa femme pour lui rendre justice sur l'Internet) : son refus d'adhérer à des "bandes organisées" (mais non armées, Dieu merci !) et qui cultivent le goût du secret" alors que rien ne les y oblige sinon de comprendre pourquoi certains idiots réussissent mieux socialement que des gens réellement valables.

Blessé au plus profond de lui-même

Bref, le jour du vote, et à la grande surprise de Roger, défilèrent "des militants qu’on ne voyait plus du tout aux réunions du PS ! Les femmes, les grands-mères, les filles et les enfants en âge d’avoir leur carte s’étaient inscrits et Roger perçut qu'il s'agissait d'un vote truqué qui se préparait. Et qui le mit en minorité... ", indique Simone qui, elle, ne fut aucunement étonnée car, deux jours avant le vote, Pinçon était venu chez eux, place Hardy-de-Lévaré, pour évoquer cette consultation. "Je l'entends encore dire à mon mari : « Si les militants me désignent, je serais bien obligé d’accepter ! »

"Ce qui n’est pas vrai ! s'insurge aujourd'hui Simone. On peut toujours refuser ce genre de chose mais Pinçon, plus fourbe que jamais, disait cela alors que tout était déjà joué d'avance. Ce que j'ai dit à Roger, après le départ de Pinçon. Il ne pouvait croire à une telle fourberie ! Il n’y avait jamais pensé ! Plus de dix années de travail pour en arriver là !, ce n’était pas concevable dans son esprit. C’est pourtant bien ce qui s’est passé. Pinçon fut choisi comme candidat pour les législatives, lui qui n’avait jamais travaillé pour le parti !i"

Roger fut blessé au plus profond de lui-même ; quelque chose était cassé, la confiance qu’il avait dans les socialistes mayennais étaient rompue et il ne se remit jamais de cette trahison. Jamais. "Il faut quand même savoir que les militants sont allés jusqu’à l’exclure du parti qu’il avait eu tant de mal à créer !", s'insurge Simone près de trente ans après ce choc. En fait il n’y eut qu’à Paris, au sein du comité directeur, que Roger eut des soutiens –à commencer par le premier des Socialistes, qui était en rage :  « Vous leur passerez sous le nez et sous la barbe, lui promit-il, et vous serez appelé à des tâches qui leur feront mal. »

Ce furent ses mots.

Et il tint parole, quelques années plus tard.

Cependant c’était Laval que Roger Buard  aurait voulu socialiser et c’est la Mayenne tout entière qui lui tenait au cœur. Il y passait tout son temps libre, tous ses week-ends. Il était infiniment plus concerné par la politique que ses "copains camarades". Immédiatement, il envoya sa lettre de démission du secrétariat général à la direction nationale du PS. Il sera remplacé par M. Pierre Grangeré.

Ancien conseiller général, Roger pensait également se représenter mais, nouveau choc : il ne reçut pas l'investiture du PS pour les cantonales...  

En Mayenne, la carrière politique de Roger Buard est derrière lui.

Mais en Mayenne seulement car "Tonton" le Tout Puissant ne laissera point tomber celui qui se battait pour lui depuis 1965...

A suivre...