Lectures d'été du conseiller JCG (IV) : Chardonne, roi de la prose musicale

JC Gruau, avant d'évoquer les mémoires posthumes de Robert Sabatier lus cet été j'aimerais que vous me parliez de Chardonne car mon petit doigt m'a dit que vous l'aviez relu dernièrement... Disons que j'ai relu le livre de lui que je préfère, "Le Bonheur de Barbezieux" (1938), et quelques pages de "Claire" (1931) et de "L'Amour du prochain "(1932).  J'aime les écrivains qui ont du style et, dans ce domaine, Chardonne est un maître. Quel prosateur ! Quel styliste ! Mitterrand - qui était son "pays" - en était friand...

Comment avez-vous connu Chardonne (1884-1968) ? J'imagine que ce ne sont pas vos professeurs de français qui vous en ont parlé... Non. Je l'ai découvert pendant mon service national en discutant avec un camarade matelot (j'étais dans la marine) dont j'ai oublié le nom. Nous étions parfois de garde ensemble, et, partant, passions de longues heures à attendre un "roulage" (chauffeurs de gradés, nous appelions chaque course ainsi). Nous discutions de choses et d'autres, et très souvent de littérature car cet interlocuteur s'y intéressait au moins autant que moi. Un jour, alors que je lui donnais ma vision de la vie, que j'évoquais la province, la nécessité du mariage, il m'a dit : "Toi, avec tes idées, tu dois vraiment aimer Chardonne !"

Et vous ne l'aviez pas lu ! Non. Et je vais même aggraver mon cas : c'était la première fois que j'entendais ce nom-là ! J'avais 24 ans, pourtant ! Et des heures de lecture au compteur. J'ai alors souhaité rattraper mon retard en lisant les quelques livres de lui que je pouvais trouver dans les librairies de l'époque (1987) ou chez les bouquinistes... J'ai commencé par ses "Lettres à Roger Nimier" (1954) rééditées dans la collection "Les Cahiers Rouges" (Grasset). J'ai pu alors d'emblée me rendre compte du styliste qu'affectionnait tant Mitterrand, et me souviens tout particulièrement d'un extrait qui m'avait enchanté...

Je vous écoute...  "Ne croyez pas que je prône le détachement. Le peu que nous pouvons goûter, il faut le prendre. Des gens ont joué du piano toute leur vie ; ils ne demandaient pas davantage." J'aime cette petite musique. Et aussi qu'un individu ne demande rien de plus à la vie que de jouer du piano. S'il aime le piano, bien sûr...  

Très fin ! Oui, je me souviens également de trois ou quatre autres extraits. "On aime le talent ou il vous est indifférent. Si on aime, c'est sans mesure." Personnellement, j'aime le talent. Et sans aucune mesure. Ceux des écrivains, surtout. Et des musiciens, bien sûr. C'est pourquoi  j'ai toujours aimé sans mesure les "écrivains maudits", ceux qui, dans les années trente, trouvaient, parfois, des qualités à certains dictateurs de gauche mais non communistes (je pense à Rebatet, Maurras, Brasillach, Céline, Morand, Bonnard, Aymé et tous les autres qui ont plus ou moins été "inquiétés" à la Libération). Des écrivains plutôt classés à droite.  

Je dois dire que j'ai rarement vu du talent chez les écrivains qui se reconnaissaient de gauche... Une question de liberté, je pense. Mais aussi de style. Oui. Les types de gauche sont "bloqués" par  leurs interdits moraux, leurs (insupportables) leçons de "moraline". Ils manquent souvent singulièrement de style. Faut toujours qu'ils se demandent si ce qu'ils écrivent sera ou non bien vu par les ligues de vertu. C'est incroyablement décevant...

Chardonne parle-t-il du style ? Bien sûr ! Et notamment dans une lettre à Nimier où il évoque l'un de leurs amis communs, Jacques Laurent, "qui vient de définir l'essence du génie littéraire français" :  "l'esprit." Chardonne écrit qu'"il s'agit pour lui d'un certain tour de l'esprit, un raccourci fulgurant dont il cite un exemple merveilleux pris chez Mademoiselle de Lespinasse."

Lequel ?  "Vous n'êtes pas digne du mal que vous me faites." Et Chardonne de poursuivre : "Keyserling nommait cette qualité : concentration. Il disait, lui aussi, que c'était la marque du génie français. On peut l'appeler bonnement le style." Il écrit ensuite qu'"il n'y a de style en prose que chez les Français. Prenez garde, vous [Roger Nimier], bon écrivain français, à cette forme un peu sèche et rétractée de la pensée ; cela agace les critiques. J'en ai pâti ; il paraît que je m'exprime en maximes." Et de livrer cette anecdote que je trouve délicieuse car je suis un admirateur de Montherlant : " A propos de cette concision du style qui a facilement un air hautain, Montherlant me disait : "C'est comme le port de tête ; on est bon pour la guillotine."  Plus loin, il parle d'un certain Monsieur Armand, qu'il vient de découvrir et il écrit ceci : "J'ai toujours envie de poser deux questions aux gens que je ne connais pas : quelles sont vos ressources et que faites-vous quand vous ne faites rien ?" Superbe, non ?

Oui. Mais venons-en au "Bonheur de Barbezieux" dans lequel, je crois, Jacques Chardonne raconte sa jeunesse. Oui, son enfance, son adolescence et ses premières années d'homme mûr. Permettez-moi de recopier l'incipit car il est splendide. Rien à changer. Pas un mot de trop.  

Bien sûr ! " Si je raconte ma jeunesse et les souvenirs d'une société que je trouve exemplaire, ce n'est pas pour revenir à un passé disparu dont l'image me plaît.  Le passé n'est jamais tout à fait révolu quand il a duré ; c'est le présent qui parfois se dissipe sous nos yeux faute de prises.» Rien à ajouter.

C'est superbe ! Oui. Et sur sa jeunesse, c'est aussi très beau : "J'étais un enfant plein de passion, mais surtout rongé d'un singulier désespoir, pareil à une migraine, qui ne m'a pas quitté pendant vingt ans. Ce n'était pas l'ennui exactement, car j'étais très actif, et je ne nommerai pas ce mal tristesse : elle est moins aiguë et suppose plus de maturité. C'était un chagrin lancinant, agriffé à la poitrine, sur quoi je m'endormais et me réveillais tous les jours. Mes amis l'ont ignoré ; j'avais trop de vie auprès d'eux."

Bravo, l'artiste ! Il a aussi écrit de très belles choses sur le progrès, qui ne l'enchante "pas plus que ça", comme on dit vulgairement : "Je doute du progrès quand je vois peu à peu disparaître sur terre tout ce qui est charmant, écrit-il. Mais ces progrès ne me sont pas destinés : ils intéressent la foule des hommes de demain qui, sûrement, ne seront pas faits comme moi."  Le problème d'aujourd'hui, c'est qu'il nous faut nécessairement assimiler certains "progrès". De force. Qui peut, par exemple, se passer de l'Internet ou d'un ordinateur s'il souhaite garder le contact avec la réalité ? Et effectuer des tâches qui s'en passaient naguère...

Comment ça ? Une chose m'avait marqué. En 2008, licencié par les socialos, je m'étais rendu à l'ANPE (qui ne s'appellerait Pôle Emploi que quelques semaines plus tard), pour m'inscrire dans ce qui allait devenir ma "nouvelle maison". Je me pointe rue Adolphe Beck, aborde l'hôtesse qui, très gênée, me dit que s'inscrire ici est chose impossible... Et de me remettre illico un bout de papier sur lequel était notés "l'adresse mail" de l'ANPE ainsi qu'un numéro de téléphone à quatre chiffres que je savais payant... On ne pouvait déjà plus s'inscrire via un contact humain...

En clair, si vous n'étiez pas "connecté" - si vous n'aviez pas un abonnement Internet - vous ne pouviez toucher vos indemnités. Exact. Et vous ne pouviez pas non plus avoir accès aux offres d'emploi, envoyer vos CV, etc. Vous étiez en dehors du coup...  

Que dirait Chardonne aujourd'hui ? Je crois qu'il continuerait de penser ce qu'il pensait mais peinerait à trouver des lecteurs... Il continuerait de penser ce qu'il pensait car ce qu'il pensait, le plus souvent, n'a pas pris une ride ! Et, notamment, ceci, qui permet de gagner du temps et de mieux conduire sa vie : " Faute de savoir ce qui nous est nécessaire, nous vivons dans la gêne. Ce nécessaire est très réduit ; au-delà, rien ne compte. Chez la plupart des hommes, c'est le discernement qui manque. Ignorant leurs vrais besoins, ils sont insatiables, flottants et malheureux." C'était un moraliste, Chardonne.

En revanche, le "romancier du mariage " (avec "L'Epithalame", principalement)  tomberait sans doute de très haut en constatant que les couples ne veulent plus "s'inscrire dans la durée". Qu'ils abandonnent le "voyage en commun" très rapidement, dès les premières difficultés, pourtant inévitables... Il est certain qu'il ne reconnaîtrait plus les femmes qu'il a connues, désirées, aimées dans celles d'aujourd'hui. Il est mort avant que la pilule ne change certains comportements... Et bien avant l'arrivée de notre société pornographique qui fait que certaines jeunes filles de 2016 parlent, picolent et b. comme des soudards...

Sur quel thème vous a-t-il le plus convaincu par la justesse du propos et emballé par le style ? Oh, il y en a tellement que j'avais envisagé, un temps, d'écrire un abécédaire Chardonne puis, une fois encore, j'ai renoncé à ce projet, faute de pouvoir jamais trouver un éditeur qui soit partant... Il est un peu revenu à la mode, si j'ose dire, avec la publication, en 2014 chez Gallimard, de sa correspondance avec Paul Morand. Mais dans les années 90...

Enfin, sur le Net, pour vos lecteurs férus de littérature, vous pouvez-nous donner quelques mots, quelques thèmes. Oui. J'ai évoqué le passé, le progrès. Il y a aussi le peuple, un mot qu'[il] n'aime pas "car, en France, il ne signifie rien", mais qu'il utilise quand même car "il faut bien user du vocabulaire dont nous disposons" : "J’ai eu le peuple pour voisin, presque toute ma vie, et je crois que les vertus que l’on attribue volontiers au peuple, que ce trésor caché dont certains attendent un renouveau de l’humanité, sont des chimères ou une flatterie. »

Dites donc il ne fait pas campagne à la sortie des usines pour les législatives... Ah, ça non ! C'est un écrivain qui écrit ce qu'il pense, pas ce qui va lui apporter prébendes et considération médiatique... A ce sujet, qu'il me soit permis de citer un extrait de "Chronique privée" (1939), que je n'ai pas mentionnée mais que j'ai également feuilletée il y a quelques jours ?

Bien sûr ! " C'est un vilain métier que d'exciter des ignorants pour se faire applaudir, quand on ne peut rien leur donner, parce qu'il n'y a rien à prendre. Partout où des apôtres du peuple ont saisi le pouvoir et renversé la société, ils ont mis leurs troupes à la ration et en servitude, les priant d'attendre." Mais revenons au "Bonheur de Barbezieux"...

Y parle-t-il de la bourgeoisie, de la noblesse, de ces strates sociales qui étaient jadis très fortes, très visibles ? Oui, et il en dit des choses singulières. "On retrouve dans la bourgeoisie tous les défauts du peuple. La bourgeoisie est peuple dans son essence. Entre une femme du peuple et une femme de la bourgeoisie, je ne vois aucune différence. L'aisance, les moeurs, la culture de la bourgeoisie n'ont rien ajouté au fond primitif, sinon quelques ridicules. L'étape est inutile, le stage est vain. On peut mariner les hommes avec les meilleurs ingrédients, les baigner, les habiller, les instruire, les faire marcher au pas et chanter en coeur, on ne change que la surface."

Pas faux ! Mais cela apparaîtra comme condescendant aux yeux du lecteur d'aujourd'hui. C'est le cadet des soucis de Chardonne !, qui tient à ajouter dans la foulée le "compliment" suivant (si l'on peut dire) : "Mais spontanément, dans le peuple, comme dans la bourgeoisie, apparaissent des êtres privilégiés, immédiatement pourvus de ce tact de la raison, de cette lumière de la sensibilité qui sont toute l'aristocratie."

Qu'est-ce à dire ? Que "la bourgeoisie fournit la plupart des hommes doués et le plus utiles à la société. Ils ne sont pas redevables de leurs principales qualités au milieu bourgeois, mais à cette vitalité originelle, souvent perpétuée, qui les a promus à une classe supérieure, et qui ne peut se créer artificiellement. Ces qualités ne sont pas les plus nobles mais les plus nécessaires.  Aucune société connue ou rêvée ne pourrait se passer encore d'hommes forts ayant pleins pouvoirs aux premiers postes."

"Ces qualités ne sont pas les plus nobles mais les plus nécessaires", c'est très bien vu ! Oui, et cela permet de sortir du schéma de la lutte des classes ! Il y a des "fils de patron" qui méritent de le devenir - et qui sont même, parfois, meilleurs que leurs pères dans les affaires ! Nous le savons bien en Mayenne où de nombreux "managers" ont repris "la boîte de papa" avec un grand talent qui force le respect.

Dommage qu'ils soient tous francs-maçons ou presque... C'est un autre problème, Bois-Renard, enfin ! De toutes façons, aujourd'hui, les choses sont claires : un imbécile ne peut plus reprendre la moindre entreprise familiale sans avoir du talent à revendre (dans son domaine).  Et je pense que la grande différence, au sein de la société dite "civile", se situe aujourd'hui entre ceux qui ont de l'énergie à revendre, qui aiment à mener la barque et ceux qui n'en n'ont pas plus que ça, qui aiment suivre le troupeau. Je l'ai constaté cent fois.

Il y a aussi le clivage entre les littéraires et les non-littéraires, entre ceux qui jouissent (enfin, presque) en lisant certaines choses et ceux qui trouvent ridicules de les écrire. A qui le dites-vous ! Mais c'est encore un autre sujet...

L'écrivain Chardonne était aussi "chef d'entreprise", comme on dit aujourd'hui (y compris pour un médecin qui adhère au Medef alors qu'il n'a qu'une secrétaire sous ses ordres et aucune chance d'être au chômage vu le "désert médical français" et le fait que les visites de ses patients sont remboursées par le contribuable...). Oui, Jacques Boutelleau (Chardonne est un pseudonyme), fils d'un dirigeant d'une maison de cognac et, par sa mère, petit-fils du fondateur de la manufacture de porcelaine de Limoges, connaissait parfaitement le monde économique (de son temps).

Il a également travaillé dans l'édition une grande partie de sa vie. Oui, et il fut aussi, à ses débuts, le secrétaire de l'éditeur P.V. Stock avant de devenir le directeur de cette maison qui existe toujours. Au début de sa carrière, il essayera de "trouver des commanditaires pour diverses affaires, dont l'exploitation d'hévéas que dirige, en Malaisie, son ami d'enfance Henri Fauconnier". C'est pourquoi il traite de ces sujets "pratiques", que nombre de commerciaux incultes (en littérature) connaissent, dans ses différents ouvrages. Mais, évidemment, il en parle avec beaucoup plus de talent et de style que nombre de dirigeants d'entreprises qui peinent à écrire une lettre de deux paragraphes sans fautes d'orthographe et ne lisent jamais un livre...

Un exemple ? Il parle, toujours dans "Le Bonheur de Barbezieux", de son "penchant pour les affaires" et dit qu'il s'agissait "encore de la jeunesse, un besoin de [se] dépenser, un jeu ardent avec l'avenir, l'appétit des êtres que l'on touche si bien dans ces conciliabules ; et aussi, une certaine considération pour tout ce qui est positif, vite tranché par le succès ou l'échec, et qui ne se prête pas longtemps à la fantaisie." Bien vu, non ? Puis vint la tuberculose, qu'il dut soigner en Suisse dans un village nommé... Chardonne, qu'il choisit ensuite comme pseudonyme quand il devint écrivain.

C'est encore finement observé. Et quiconque a fait des affaires dans sa vie appréciera. Evoque-t-il aussi la richesse ? Il écrit ceci : "Tu crois que la richesse peut améliorer un homme ? - Non, elle l'abêtit plus sûrement que la misère, quand il n'y est pas accoutumé de longue date et on n'avait pas tort de cantonner ce poison dans quelques familles immunisées." Qui peut comprendre cela aujourd'hui où pullulent les "nouveaux riches".. Enfin, "pullulent", façon de parler car ce sont surtout les nouveaux pauvres qui sont légion...

Vous avez évoqué "Claire", l'un de ses romans. Disons que j'ai relu les quelques lignes que j'avais eu la bonne idée de repérer... Je ne me lasse pas du portrait qu'il trace de son héroïne, qu'il présente ainsi : "La beauté de Claire, c'est elle-même. Claire est tout entière inscrite sur son visage et dans la forme de ses bras. Ce qui me plaît dans son esprit est visible sur ses lèvres. Je l'ai connue en la regardant."  C'est magnifique, non ?

Oui, bien sûr et je cesse de lancer des compliments pour ne pas lasser le lecteur... Il y a aussi cette phrase : "Des entretiens absolument insignifiants, à la longue finissent par attacher, quand on y met de la tendresse."

Oh, que oui ! J'ai vécu cela cent fois. Dans "Claire", Chardonne écrit ces deux phrases sur l’argent, avec lesquelles je suis d'accord  : "Tout ce qui s'obtient avec beaucoup d'argent est un embarras et souvent un ennui. C'est l'argent qui vous oblige à vivre comme tout le monde, qui vous pousse sur les chemins battus, dans les endroits connus, parmi les mêmes qu'on n'a pas choisis. J'aime les sentiers que j'invente, des relations inutiles, les choses sans renommée et tout ce qui ne vaut que pour moi."

Parlons maintenant, pour finir, de Barbezieux, de cette petite ville charentaise où Chardonne a vécu jusqu'à dix-sept ans. Il en parle longuement et délicieusement dans "L'Amour du prochain" où il narre son passage à Barbezieux trente ans après l'avoir quittée. "Je ne sais pourquoi la province est toujours représentée comme endormie ou tragique. J'en ai gardé un bon souvenir. Là seulement, j'ai trouvé une véritable vie de société, des êtres qui se laissaient approcher, des maisons ouvertes, des sentiments vrais."

L'Internet, les divorces, les déménagements ont changé tout cela... Oui. Indéniablement. Tout le monde se fuit aujourd'hui, plus ou moins. La course au fric, aux petits avantages, le goût aussi pour les muscles, les ventres plats, les petites cuisses fermes... Le manque de tenue à table, en ville, les habits avec des noms de marques, les tatouages... Sans oublier, cerise sur le gâteau ou plutôt noix de coco sur le buffet de la grand-mère : Le Grand Remplacement De Population, l'africanisation à marche forcée de la France...

Du jamais vu ! Oui ! La fin des haricots, plutôt. Chardonne serait dépaysé et je doute fort qu'il écrive jamais ceci en 2016 : "Par hasard, la société d'une petite ville a un moment d'éclat : la fille du sous-préfet est jolie, le substitut est un bon acteur, le professeur de philosophie a une voix de ténor, on dira des vers chez les grands négociants, il y aura des fêtes, des amours, des mascarades, puis cette génération s'évanouira et ne sera pas remplacée."  Enfin, n'abordons pas le cauchemar que nous vivons orchestré, organisé par les "Anti-France" qui nous gouvernent... Restons à Barbezieux et citons la phrase la plus célèbre de Chardonne.

Laquelle ? "Il y a trente ans [en 1900], dans une petite ville de province, tout le monde était heureux autant qu'il est possible sur terre. Mais, poursuit-il, ces gens l'ignoraient et ils n'étaient pas curieux."  "Ces gens étaient heureux, avait-il écrit plus haut. Ceux qui veulent apporter le bonheur à l'humanité arrivent trop tard. Ce bonheur a existé, et on ne s'en est pas aperçu."

Ce qui ne ressemble aucunement à la situation d'aujourd'hui où l'on s'aperçoit, quand on a passé 50 ans et qu'on a encore de la mémoire, que les Français ont connu le bonheur. C'est vrai. Il suffit d'écouter n'importe quel chanteur de la période des Trente Glorieuses (Brassens, Alain Barrière,Reggiani, Les Compagnons de la chanson, Brel ou je ne sais qui !) pour savoir que nous avons été heureux en France et que cette longue période de bonheur est achevée. Terminée, finie ! Mais je ne vous dirai pas à cause de qui ni pourquoi car je ne veux pas faire de politique ce jour...    

Chardonne n'est-il pas condamné à l'oubli en évoquant un passé révolu ? Sans doute. Mais pas plus que n'importe quel écrivain français car on n'enseigne plus - et depuis des lustres ! - notre langue comme il se doit à ceux qui pourraient la maîtriser... Et, en même temps, on laisse entrer dans notre pays des millions d'étrangers incapables de jamais parler la langue de Voltaire et... de Chardonne ! Le français est en danger de mort et ce ne sont pas les rentrées littéraires d'aujourd'hui qui vont le sauver ! Mais, pour en revenir à Chardonne, dès la fin des années 20, il avait compris que la "petite ville de province" était à fuir pour nombre de ses concitoyens. "Nous sommes trop démunis, maintenant, pour habiter une petite ville. On a retiré à l'homme ses sorcelleries, ses fétiches, ses récompenses. Il a besoin d'un prochain inconnu et de la mystérieuse distraction des foules." Il a besoin de flux, comme on dit maintenant. De passages, de mouvements, de fêtes (comme nous l'a appris Philippe Muray). La société de consommation est passée par là...

Est-ce tout pour aujourd'hui, cher ami ? Oui, mais j'aimerais achever cette "chardonnerie" par un hommage qu'il rend aux forces conservatrices dans "L'Amour du prochain". Le liront ceux qui apprécient tout particulièrement le mot "conservateur", du moins je l'espère. Et ceux qui s'intéressent à la vérité dont Chardonne parle fort bien...

Je vous écoute... "Les éléments conservateurs sont des puissances très précieuses à la société ; ils l'empêchent de s'anéantir promptement dans le chaos. Tous, nous leur devons l'existence. Ils sont représentés par des gens honorables et un peu mystérieux, qui devraient se borner à opposer aux dangereux novateurs, la force silencieuse, et ne jamais user de l'écrit et du discours. Leurs arguments donneraient à penser qu'ils ne sont pas sincères ; mais il faut se dire que dans la vie et l'action, la vérité n'a aucune part ; elle est un luxe de dilettante, un plaisir pour les heures de recueillement. L'homme intelligent qui déraisonne n'est pas un imposteur ; il agit sous l'influence d'une nécessité vitale. Lorsque les prêtres de l'antique Egypte se glissaient par des galeries secrètes, afin de subtiliser les victuailles apportées par les fidèles, et que les dieux étaient censés consommer, ils ne doutaient pas de la nécessité d'imposer le respect des dieux. Peut-être même croyaient-ils à leur existence."

C'est très beau et très vrai. J'ai beaucoup apprécié le passage sur la vérité, "luxe de dilettante" et "plaisir pour les heures de recueillement". Il a écrit ces lignes pour vous, cher JCG qui placez la vérité au-dessus de tout. On peut donc dire que vous êtes un dilettante. Si on veut mais à condition qu'on n'assimile pas le dilettante au fainéant ! La preuve, je vais relire "L'Amour du prochain", et y reviendrai dans mes lectures d'automne...

Avec joie, bonne journée. Pareillement, cher Bois-Renard.