"L'hideuse fête à la citrouille" d'Halloween

images_1

Dans "Après l'Histoire", Philippe Muray déplore qu'on ne puisse plus désormais échapper peu ou prou à la "fête" d'Halloween chaque 31 octobre... 

 

Le schéma festiviste

En lisant les journaux, en regardant la télévision, en flânant ça et là, Philippe Muray a étudié à la loupe les dernières années du XXe siècle, qu’il a qualifiées d’ère hyperfestive  car « l’accumulation de fêtes en est devenue l’occupation la plus fervente et la consolation la plus quotidienne ». L’arrivée récente d’Halloween en France s’inscrit parfaitement dans le schéma « festiviste » de l’essayiste disparu en 2006…

La culture

Dès 1998, dans un article publié dans Après l’Histoire I, Philippe Muray évoque cette « hideuse fête à la citrouille », que Homo festivus – le nouvel individu créé par cette la civilisation hyperfestive – a «adopté avec tant de naturel qu’on a déjà du mal à se souvenir qu’il ne s’agit pas d’une festivité sui generis », unique en son genre…

En d’autres termes qu’il s’agit d’une fête «qui ne correspond à rien dans la culture, comme on dit par paresse, des Français»…

Mais «la question du contenu n’a bien évidemment qu’un caractère très accessoire, indique l’écrivain. Ici comme partout,  la fête ne reçoit sa valeur finale que du succès qu’elle obtient ; et on ne s’interroge pas au-delà de ce succès… »

Le Monde

Pour étayer sa thèse festiviste, le théoricien de L’Empire du Bien cite un article du journal Le Monde dans lequel il est écrit que « la citrouille est une plante qui a le sens de la fête » !

L’article indique aussi que cette cucurbitacée est « en parfaite adéquation avec les valeurs montantes ». Ces valeurs, Muray ne résiste pas au plaisir de les citer : « puérilité, stupidité, convivialité, écologie, gastronomie ; le tout enveloppé, comme il se doit dans un monde où l’on n’a pas le droit de rire, d’ « humour » prétendument « décalé ».»

Crétinisme

Pour Muray, Halloween démontre au moins une chose : via des « squelettes de pacotille, des ersatz de monstre, des morts-vivants dégoulinants d’hémoglobine et des néo-danses macabres », les Français veulent se convaincre « qu’ils vivent dans le crétinisme d’un film d’horreur » plutôt que de s’avouer qu’ils « croupissent dans une réalité d’épouvante…»

« Les sorcières réelles et les vampires concrets qui nous entourent, ou que nous sommes nous-mêmes devenus, se retrouvent transposés au second degré dans des fêtes hard gore » qui présentent un autre " avantage " :  faire sonner le tiroir-caisse !

Faire marcher le commerce

De fait, jusqu’à l’arrivée de cette fête très populaire Outre-Atlantique, le commerce connaissait une baisse de régime entre les achats de rentrée scolaire et ceux de Noël.

Désormais, octobre peut être un mois juteux pour les marchands de jouets… Et nombre de parents consacrent un budget Halloween…

Ce chapitre datant de 1998, Muray relie Halloween à la coupe du monde de football remportée par les Bleus quelques mois avant, exploit qui, d’après un journaliste du JDD, « a montré à quel point les Français voulaient faire la fête et s’amuser ».

L’impératif festif

Muray pense, lui, que ce fameux Mondial nous a surtout montré « que l’autonomie et l’individuation avaient fait leur temps sur cette terre ; et qu’il n’est plus du tout question que nous échappions, fût-ce une petite semaine par an, à l’impératif festif ! »

Par ailleurs, Halloween réjouit nombre de psy, qui voient en elle un excellent exutoire : « En jouant avec la mort, indique l’un d’eux, on se familiarise avec elle. Se moquer de l’au-delà entre copains est toujours plus salutaire que d’avoir peur tout seul dans son coin.»

La joie des psy

Et Muray de poursuivre : « Ce qui fait le plus peur à ce psy ce sont les gens qui oseraient encore rester isolés, " dans leur coin ", même et surtout si ce n’est pas pour avoir peur ; et qui, par-dessus le marché, plutôt que de « se moquer de l’au-delà entre copains », pousseraient le vice jusqu’à se moquer tout seuls de l’en-deçà, c’est-à-dire de notre nouveau monde indéfendable. »

Un monde dont le slogan – ô combien terroriste - pourrait être : « Si tu ne viens pas à la fête, la fête viendra à toi ! »  Dans « la langue de l’embrigadement festivomaniaque » d’aujourd’hui cela donne, par exemple, ce gros titre de VSD : " Halloween, vous n’y échapperez pas ! " »

Tous prisonniers !

Et c’est bien là le problème de l’époque, « que plus personne n’échappe à rien, qu’il n’y ait plus nulle part où décamper, que toutes les retraites soient coupées ; et que chacun se le tienne pour dit » !

Mais s’il n’est plus possible, en 2010, d’échapper aux injonctions de participer peu ou prou à Halloween, il n’est pas encore obligatoire, Dieu merci, les 31 octobre, de manger de la citrouille, d’embrasser une (fausse) sorcière et de donner un euro au petit des voisins venu vous vendre des bonbons au poivre !