Arsène Gruau (1874-1966), alias Le Pépé, De Maisoncelles au Gué d'Orger (1922)

Les gens qui ont connu le "Pépé" - le père des trois industriels lavallois Paul, Marius et Arsène - ont tous ou auront tous bientôt l'âge de mériter ce surnom car il nous a quittés en 1966 après une longue vie qui avait commencé à Maisoncelles-du-Maine. L'arrivée au Gué d'Orger date de 1922, où il s'installa comme charron, menuisier, charpentier et, parfois, ébéniste...

Le père du "Pépé", Arsène Gruau n°1, "Soldat de l'Empereur"

Avant d'aborder la vie du "Pépé", commençons par celle de son père...

Mon grand-père Paul Gruau Père (1905-1985) me parlait très souvent du sien, côté Gruau, Arsène Gruau, une forte personnalité née le 8 septembre 1844 à Maisoncelles où il exerça le métier de charron comme, avant lui, son père Julien, un bâtard, né le 22 novembre 1818, un mois avant la mort de sa mère Charlotte Gruau, et quelques semaines avant celle de son père, un dénommé Foliot qui devait épouser Charlotte… Il s'en est donc fallu d'un cheveu que le nom de Gruau ne soit pour nous que celui d'une lointaine aïeule...

Nous devions nous appeler Foliot.

Si mon grand-père vénérait le sien, c'est parce que cet Arsène 1er (appelons-le ainsi pour ne pas le confondre avec son fils Arsène II et l'un des trois rejetons de ce dernier, Arsène III, qui épousera Jeanne Chauvin) avait servi en Crimée et en Algérie l'empereur Napoléon III qu'il n'évoquait jamais sans se mettre au garde-à-vous.

De ces lointains pays, il était revenu avec force souvenirs qu'il narrait à ses petits-fils en exhibant une pièce qui fascinait ses auditoires, le fusil Chassepot ramené de ses campagnes.

Autre souvenir que papi évoquait devant moi : Arsène 1er ne vivait pas dans l'opulence et réalisait, au sens propre, des économies de bout de chandelle : il brûlait tous les déchets de la journée dans la cheminée afin d'être éclairé sans dépenser un sou de bougie. Ces souvenirs m'ont été confirmés, en 1993, par l'un des frères de papi, le bouillonnant Marius Gruau, que j'eus la chance de fréquenter pendant plusieurs mois quand, à la demande de son petit-fils Patrick, j'écrivis l'histoire de la plus célèbre carrosserie lavalloise…

Mais s'il était pauvre financièrement, Arsène Ier était l'un des seuls habitants de Maisoncelles à savoir lire et écrire. "Des trois petits-fils c'est ton grand-père qui lui ressemblait le plus", me dit un jour ce même Marius. Il est vrai que papi apparut très vite comme "l'intellectuel de la famille", celui qui, passionné dès son plus jeune âge par l'histoire et la politique, lisait le journal La Croix (très à droite à l'époque) dans les fermes alentour. "Les gens l'écoutaient religieusement", se souvenait Marius, impressionné.

Arsène 1er avait épousé le 9 juillet 1872, Joséphine Indré, une ouvrière née à Château-Gontier, le 13 décembre 1850. Elle termina ses jours à La Craulière où elle mourut le 9 janvier 1934, chez son fils Arsène (II, mon arrière grand-père, le "Pépé" dont on va bientôt parler). Ses petits-enfants en ont gardé le souvenir d'une femme au caractère effacé, qui ne parlait jamais. Paralysée des jambes, elle ne quittait son fauteuil d'infirme que pour son lit. Elle était surnommée Mami Bobo et l'embrasser relevait de l'exploit : elle avait le visage couvert de verrues…

Son terrible mari, lui, était mort neuf ans plus tôt, à 80 ans (les campagnes impériales, ça conserve !), le 15 mars 1925, à l'hôpital de Laval. Il avait pourtant rechigné à quitter Maisoncelles pour vivre à La Craulière chez son fils Arsène et sa famille.

Il n'était d'ailleurs pas du voyage-déménagement du 19 mars 1922 et Marius m'a raconté que, par deux fois au moins, son grand-père est parti à pied rejoindre son village natal…

Comment Arsène II fit-il pour le ramener à Laval ? Je ne le saurai jamais… 

Parlons maintenant du "Pépé"...

Arsène II, le "pépé Gruau"

Fils aîné d'Arsène 1er, Arsène II, mon arrière-grand père eut le bonheur (du moins j'espère qu'il le vécut ainsi !) de me tenir dans ses bras car il trépassa en 1966, à 92 ans. Plusieurs membres de la famille m'en ont fait un tableau précis, que complète l'examen de sa carte d'identité (de 1940) : 1,62 m, long nez, visage ovale, yeux bleus et teint pâle, des caractéristiques qu'on retrouve à l'identique dans le livret militaire de son père avec lequel il partage deux autres points communs : la moustache et le métier de charron…

En 1906, un nommé May citait le sous-préfet Vicart :"Pour comprendre l'esprit mayennais, il faut remonter à la Révolution [...] Ce pays a été en 1793, le centre de la seconde Vendée. L'épithète de chouan sert encore à désigner les adversaires des institutions républicaines. Si la révolte armée des chouans a été réprimée depuis plus d'un siècle, leurs passions, leurs sentiments, leurs idées persistent, la chouannerie règne toujours dans nos régions. On est chouan ou on n'est pas chouan, on est blanc ou bleu…"

En 1917, un écrivain, Emile Moreau, définissait ainsi l'esprit mayennais :" Craindre tous les événements, se méfier de soi-même, se rapetisser, se croire indigne de tout, chercher l'isolement, laisser le cours des événements passer à droite et à gauche sans en souffrir, mais aussi sans en profiter, rester soigneusement stationnaire quand tout marche et progresse alentour, tel est cet esprit funeste et invétéré." Ayant 43 ans lorsque ces lignes furent écrites, Arsène-Paul Gruau avait-il l'esprit mayennais ?

Certainement pas celui décrit par le sieur Moreau ! En effet, le "Pépé" n'était pas homme à craindre tous les événements, et son départ de Maisoncelles, à 49 ans, en témoigne. Pas plus qu'il n'était du genre à "se méfier de lui-même" ou à "se rapetisser". Il ne se croyait pas non plus "indigne de tout", ne cherchait nullement l'isolement, au contraire ! : il a même voulu se remarier à 75 ans ! En ce qui concerne "le cours des événements", il préférait mille fois qu'ils passent à droite et non à gauche…

Un chouan

En revanche, on peut classer Arsène II dans le camp des chouans ; par atavisme familial, habitude, tempérament ; parce qu'il était de la Mayenne, le pays de Jean Cottereau dit Jean Chouan. Et c'est d'ailleurs ainsi qu'il était reconnu dans son village, comme en témoigne l'anecdote suivante : tous les midis, comme nombre de villageois, il avait l'habitude de faire un petit somme sur son banc. Or, un jour, sur ce même banc, il retrouva le cadavre d'une chouette symbole de la chouannerie…

Si Arsène II se rangeait du côté du clergé, c'était peut-être aussi pour des raisons... professionnelles.

En effet, charron et menuisier de métier, il s'occupait d'entretenir sa chère église de Maisoncelles en multipliant les travaux comme le rabotage de la grande porte ; lors du dernier Noël, c'est lui qui avait monté et démonté la crèche. Il avait aussi plusieurs fois réparé les prie-Dieu et la tête de loup, levé la tenture pour l'adoration, et, entre autres, fourni deux ressorts pour les placards de la sacristie…

La naissance de Marius

Avec son gourdin et une bande de "copains cathos", il s'y trouvait le 6 novembre 1906 pour une raison que les livres d'histoire ont retenue : empêcher la visite d'un inspecteur envoyé par la République pour inventorier les objets et trésors du culte. La séparation de l'Eglise et de l'Etat exigeait ce genre de formalité fort mal vue par les Mayennais : eh oui, 375 inventaires sur 599 s'accompagneront d'incidents notables : gnons, coups de bâton, paires de gifles sont échangés entre gendarmes et catholiques passionnés…

Pas question de laisser les républicains insulter la religion catholique !

Mais voilà subitement qu'un nouveau venu rejoint les insurgés dans l'église. Sa mission ? Prévenir Arsène que sa femme vient de mettre au monde un deuxième fils, le petit frère de Paul… Dans la précipitation, le messager a oublié de refermer la porte de l'église... Les gendarmes et le percepteur profitent de l'occasion...

Mais Arsène, lui, est déjà parti : seul l'intéresse la découverte de celui qu'il a choisi de prénommer Marius…

Madeleine David, épouse Gruau

Deux mots sur la parturiente, Madeleine David, une épicière que mon arrière-grand-père a épousée le10 novembre 1903 quand elle avait le même âge que le sien, 29 ans. C'était une fille plutôt bien dotée (si l'on peu dire) car son père, Michel David, était LE gros entrepreneur de maçonnerie de Maisoncelles. Un notable. Qui, néanmoins, accepta volontiers que sa fille épousât un plus pauvre qu'elle. "Maman n'avait pas la santé", se souvient Marius. Et d'ajouter : "Ce n'était pas [dans ce domaine] un beau parti... "

Ces propos que Marius m'a tenus en 1994 confirment ce que mon grand-père écrivait à sa fiancée Charlotte Sauvage en 1928, dans une lettre où il lui annonçait qu'il allait "ce soir jouer les cuisiniers car maman ne peut pas encore appuyer sur ses pieds…"  Infirme, Madeleine Gruau mena la majeure partie de sa vie une existence qui exigeait qu'on s'occupât d'elle avec beaucoup de soin(s).

Elle mourut d'ailleurs bien avant son époux, le 1er octobre 1943, pendant l'Occupation, à l'âge de 69 ans, à La Craulière.

Dans sa jeunesse et le temps qu'elle resta à Maisoncelles, c'est-à-dire jusqu'en 1922, elle eut néanmoins assez de santé pour tenir une épicerie-débit de boissons. Chez elle venaient se désaltérer, et parfois "se piquer la ruche", beaucoup de maçons employés par son père. Ces gens-là, Michel David les recrutait le plus souvent à Laval, place de la Mairie, devant la statue d'Ambroise Paré. " Mais il ne voyait pas d'un très bon œil que sa fille abreuve sa main d'œuvre", se souvient Marius en souriant…

N'ayons point toutefois de l'épicerie l'image d'un repaire de poivrots uniquement fréquenté par des ouvriers du bâtiment !

C'était aussi un lieu de rendez-vous nimbé d'un certain prestige féminin, car il était régulièrement fréquenté par les comtesses de Veyzin et de Quatrebarbes, les deux grandes figures aristocratiques du village pour lesquelles travaillait l'artisan Arsène II tout au long de l'année.

On n'allait pas seulement chez Madeleine Gruau pour acheter son savon de Marseille ; on y tenait aussi son rang, s'il vous plaît !  

Les trois frères

Arsène II et Madeleine ont bien mérité de la généalogie familiale car ils eurent quatre fils dont le dernier, Michel, fut présenté sans vie le 22 mai 1913. L'aîné, mon grand-père Paul (Arsène-Marie-Joseph), naquit le 13 septembre 1905. Concernant le second, né le jour des inventaires, Madeleine hésita à l'appeler "Marie quelque chose" car elle voulait une fille. Elle opta finalement pour un prénom que Pagnol rendra célèbre, ce qui réjouissait Marius : "Voilà un prénom que tout le monde retient, c'est excellent commercialement."

Le troisième, Arsène (Michel-Marie-Marcel), vit le jour le 28 avril 1908 à Maisoncelles et décéda, le 22 octobre 1980 à l'hôpital d'Angers. De quoi ? Mystère… On sait qu'il fut, dans un premier temps, hospitalisé à La Rochelle ; on sait aussi que ses frères n'obtinrent pas l'autorisation de le voir (une lettre furibarde de son frère Paul à Michel Crépeau en témoigne), on sait enfin qu'il fut ensuite, et de toute urgence, envoyé en hélicoptère à Angers, et que ce déplacement lui fut fatal puisqu'il mourut en plein ciel. Oui, mystère...

Plus petit que ses frères, Arsène III était aussi plus réservé. Il avait épousé "la Jeanne", née Chauvin (1911-1994) et monté, avec son beau-père, une entreprise de menuiserie installée en 1945 place des Quatre-Docteurs-Bucquet. En 1964, un grave incendie détruisit allait les ateliers et Arsène décentralisa alors son affaire route de Cossé où se trouve aujourd'hui Hippomat qui a succédé à Courcier Drouart rebaptisée Weldom. En 1967, il fondera l'entreprise Somabois qui, elle, s'installera à Saint-Berthevin.

Arsène et la guerre de 14

En 1912 ou 1913, Arsène II eut un accident de charrette en accompagnant les Quatrebarbe dans leur propriété normande de Préfailles. Assis près du cocher, alors que la famille blasonnée était dans l'habitacle, la carriole est tombée et Arsène a roulé dans le fossé se cassant une jambe. Aujourd'hui, aux frais de la Sécurité Sociale, on plâtrerait et rééduquerait le membre malade mais au début du siècle précédent, une jambe cassée pouvait se transformer en infirmité à vie, ce qui fut le cas…

Résultat : en 14/18, Arsène resta à Maisoncelles.

"Il  fut particulièrement triste le jour où les Autorités réquisitionnèrent son cheval pour aller à la guerre, m'a confié Marius… Il aurait aimé l'accompagner nach Berlin la fleur au fusil." Dans le bourg, il rendait bien des services aux femmes désemparées d'être toutes seules. Il lui arrivait également de fabriquer des cercueils et d'organiser des cérémonies mortuaires pour les Maisoncellois "morts au champ d'honneur". J'imagine qu'il devait aussi passer pour un "planqué" auprès de ceux qui avaient un frère, un fils ou un mari au front…

Arsène le charron

Arsène II, comme son père, exerçait la profession de charron mais était aussi charpentier, menuisier et ébéniste à l'occasion. Si les travaux dont il s'acquittait étaient divers et variés, tous avaient un point commun : ils utilisaient le bois ! Un livre en témoigne, un livre sans aucune qualité littéraire, un livre d'inventaire : le livre de comptes professionnels qu'Arsène II a tenu, au jour le jour, de 1903 à 1924.

Ce document familial inestimable est en ma possession, pieusement conservé à La Craulière…

En le parcourant on apprend qu'Arsène II a beaucoup travaillé ; qu'il a, et en quantité quasi industrielle, châtré des roues de charrettes et de brouettes, débité et équarri des tonnes de bois, construit et posé des centaines de mètres de charpentes…

On apprend aussi qu'il a refait un nombre incalculable de portes, réparé des centaines de poutres, d'armoires, de chaises, de fauteuils, de persiennes, de scies, d'échelles, de tombereaux, de mangeoires…

Qu'il a retapé des étables, fabriqué des niches pour chiens…

Qu'il a confectionné des échelles, des cages à cochons, des portes…

Qu'il a loué des pressoirs, placé des serrures, démonté et remonté des armoires, posé des vitres, des verrous, fourni des kilogrammes de boulons, des escabeaux, de la peinture, des clous, de la colle…

On apprend qu'il a déménagé des fermes, des maisons, des manoirs, des cabanes, aménagé des placards, affûter des scies…

Tout est consigné dans ce grand livre qui débute à Maisoncelles et s'achève à Laval l'année de la mort de Lénine…

A Maisoncelles, les clients d'Arsène sont souvent "des gens de la Haute", des nobles "très comme il faut". Ce type de fréquentation ne peut qu'accentuer le positionnement des Gruau à droite de l'échiquier politique français. Ce sont, en effet, les "redede" qui font vivre Arsène II et sa famille ! Parmi ceux qui noircissent régulièrement son livre d'inventaires, deux familles se distinguent, qui l'emploient un ou deux jours par semaine : les Quatrebarbes, du château de la Bigottière, et les Vésins, du château de la Jupellière…

En 1994, Marius se souvenait très bien des relations très proches que son père entretenait avec les Quatrebarbes – dont le patronyme proviendrait d'un ancêtre ayant ramené des croisades quatre barbes de Sarrazin ! " C'était un peu leur homme de confiance, indique le maître- carrossier. Ils l'aimaient bien. Il lui arrivait aussi de partir en vacances avec eux et de s'occuper des meubles, de travaux divers et variés. Pendant ces absences de notre père, maman restait à la maison ou plus exactement dans son épicerie… "

De Gaulle

Concernant les autres clients, le livre d'inventaires a noté les noms des Jacêt de La Motte, Duboy-Fresnais, Elva (du château de la Mazière), Evry, Erseville, Parcie, Noyer, Argencis, Crépeau et autres Chevallier-Chantepy dont la fille Armelle deviendra la seconde femme de Xavier de Gaulle, qui était percepteur à Loiron et, vous l'avez peut-être deviné, le frère (aîné) du "plus illustre des Français", le grand Charles.

Ingénieur des Mines, Croix de guerre 14-18, Xavier était "le plus brillant des fils de Gaulle"…

Mais pourquoi ce fonctionnaire de la République s'était-il retrouvé à Loiron, lui dont "Georges Bernanos, son condisciple au collège de la rue de Vaugirard, assurait qu'il n'avait jamais connu d'adolescent plus riche de promesses "?  Ce veuf s'était fait "casser" par sa hiérarchie pour avoir refusé d'accepter l'abandon de la Ruhr par les troupes françaises.

Expédié en Mayenne, son milieu d'origine le fit fréquenter les Chevalllier-Chantepy et tomber sous le charme d'Armelle qu'il épousa en seconde noce…

Les trois frères (suite)

Géographiquement, les clients d'Arsène se situaient essentiellement autour de Maisoncelles, c'est-à-dire à Parné-sur-Roc, Villiers-Charlemagne, Le Bignon, Meslay-du-Maine, Château-Gontier…

Mais aussi dans le Maine-et-Loire, en Sarthe et, de plus en plus, vers Laval.

Son atelier était modeste mais il en fit néanmoins une petite scierie dans laquelle ses trois fils aimaient à se promener. Ils aimaient aussi l'accompagner chez les châtelains, assister à l'arrivée du roulier (qui transporte le bois), Adolphe Peslier…

Bien sûr, ils n'étaient pas sages comme des images et il leur arrivait souvent de franchir les bornes et de recevoir, par leur père ou leur grand-père, quelques volées carabinées. C'est mon grand-père qui reçut le plus de coups de fouets. Sans être un prince de l'espièglerie ni un roi du chahut généralisé, il était plutôt cabochard et ne cédait jamais quand il s'estimait dans son droit.

Dans les années 70, lors d'une grève particulièrement difficile dans son usine de charpentes, des Cégétistes le traiteront de "mur de pierres".

L'arrivée à Laval

Le 19 mars 1922, souhaitant développer ses affaires, Arsène Gruau arrive à Laval où il en fait de plus en plus avec l'acheteur et marchand de bois Julien Garry ainsi qu'avec Adolphe Peslier, propriétaire-entrepreneur de roulage (transport du bois). Il a d'abord pensé s'installer chez Garry, qui lui propose un terrain rue du Vieux-Saint-Louis, face au kiosque à musique (futur square de Boston). Mais cet emplacement déplaît aux fistons qui avaient réussi à le décider de vendre la maison familiale de Maisoncelles…

"Qu'à cela ne tienne, nous irons chez Peslier !" Et mon arrière-grand-père de choisir d'habiter dans une petite maison contiguë aux écuries du père Peslier sur ce qui se nomme aujourd'hui le boulevard du 8 Mai 1945, à l'époque boulevard du Gué d'Orger, au lieu-dit La Croslière (qui s'écrira aussi Craulière). Les Gruau y poseront leurs malles, définitivement. Car cette fois, l'endroit plaît aux enfants. En revanche, il faut retrousser ses manches car la maison en question a besoin d'être sérieusement retapée…

L'acte de vente est signé le 1er juillet 1922 par devant Maître Gaston Legay, notaire à Laval, au 12, rue du Lieutenant. 20 000 francs. Dans l'acte, on apprend que les Peslier avaient acheté cette propriété à une demoiselle Besneux Aline, propriétaire marchande de bois de chauffage et de charbon demeurant à Laval, rue Flatters, au n°10, suivant contrat passé devant M. Basnard notaire à Laval, les 14 et 17 janvier 1905. Ladite Aline avait hérité ces biens de ses parents, tout simplement.

Voilà vous savez tout.

Le charpentier du Gué d'Orger

A La Craulière, Arsène concentre ses activités sur la couverture et la charpente.

En quelques années, il va réussir son implantation. Il aimait à dire qu'il avait "dû sauter bien des obstacles". Grâce à son savoir-faire et à ceux de son fils aîné, Paul ; puis de son petit-fils également prénommé Paul ; et, durant sept mois, grâce aux qualités de management d'un de ses arrières petits-fils, Franck-Désiré-Michel Gruau, puis d'un repreneur aujourd'hui retraité, Philippe Lenormand, des dizaines d'entreprises mayennaises auront pu couvrir leurs usines, entrepôts ou autres maisons…   

Pour ceux que ça intéresse et qui ont l'occasion de passer rue du Ponceau, qu'ils jettent un coup d'œil, côté Gué d'Orger, à la petite cabane en bois sur la droite. C'est le "Pépé" qui l'a construite.

Ce fut sa première réalisation à Laval et il n'en était pas peu fier.

Assez rapidement, il recruta 4-5 compagnons qui connaissaient très bien le "grand plan" pour la charpente - et notamment un dénommé Bigot avec lequel mon grand-père Paul Gruau apprendra le métier de charpentier-menuisier…

Pour en finir avec le "Pépé", signalons qu'il détient un record familial : celui de la longévité Gruau en ce bas-monde : 92 ans ! Est-ce parce qu'il pratiqua longtemps le vélo ? Jusqu'à ce que ses fils – qui lui avaient déjà interdit de se remarier – l'empêchent de pédaler au Gué d'Orger où il représentait un danger public. Ce vélo, je l'ai abandonné il y a plusieurs années aux ferrailleurs venus vider l'entreprise. Comme j'ai aussi détruit le vieux fauteuil roulant de "Mami Bobo" et de sa bru Madeleine David….

Mais je n'ai pas besoin de ces vieilleries pour penser à mes aïeux tous les jours ; eh oui, j'habite à La Craulière...