Marcel Renaudin (1922-2017) Quand Dachau rime avec kommandos... (3ème partie)

"Le train arrivé au camp de Dachau situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Munich, nous sommes descendus un par un du wagon... Puis nous avons été placés deux par deux sans être enchaînés... De la gare à l'entrée du camp, nous avons fait le parcours à pied, un bon kilomètre... Les gens du coin nous regardaient passer comme s'il s'agissait d'un spectacle."

Retrouvons Marcel Renaudin qui va être affilié à de nombreux kommandos de travail où il est dangereux de paresser...

"Arbeit macht frei"

Dachau, c'était comme une forteresse, avec une grande pancarte sur laquelle était inscrite la célèbre devise : Arbeit macht frei. Le travail rend libre.

Les historiques sur ce camp ne manquent pas et je vous recommande celui que j'avais utilisé pour écrire l'histoire de Marcel Renaudin : celui d'un certain Joseph Rovan.

Je n'entre pas dans les détails mais sachez quand même que ce camp comprenait de part et d'autre de l'allée principale bordée d'arbres plantés par les détenus, 15 baraques d'habitation (des "blocks"), deux infirmeries ("reviers"), une cantine et une baraque de travail.

Chaque baraque était subdivisée en quatre chambrées ("stuben") comprenant chacune une salle de séjour et un dortoir. Il y avait une installation pour la toilette et les WC pour deux "Stuben".

Une chambre étant destinée à 52 détenus il y avait donc 208 détenus par baraque. Après l'expansion violente du IIIe Reich sur toute l'Europe, les transports des détenus venant des pays occupés arrivèrent sans cesse à Dachau et il y eut jusqu'à 1 600 détenus dans une seule baraque !

Le plan du camp permet de retrouver la place d'appel, la morgue, la cantine, la baraque de désinfection, le jardin potager, la prison, la chapelle catholique, le mémorial israélite, le temple commémoratif protestant...

Derrière le bloc 29, le bloc 31 abritait le bordel...

Pour le reste, Rovan dixit, "une chambre à gaz y fut construite mais ne fut jamais utilisée contrairement aux deux fours crématoires, l'un construit en 1940 et l'autre en 1942."

Enfin, tout au début du camp, à droite de l'allée centrale se trouvaient les baraques du "revier" (infirmerie). Après 1939, une effrayante augmentation des maladies et épidémies nécessita de porter de 2 à 13 le nombre de baraques de l'infirmerie...

Le camp des prêtres catholiques

Ces choses dites, sautons les paragraphes du livre consacrés aux généralités du camp et contentons-nous d'évoquer le fait que tous les prêtres catholiques, allemands et étrangers, détenus dans les camps de concentration, "suite à un accord négocié entre les autorités hitlériennes et les plus hautes instances ecclésiastiques", étaient "tous réunis à Dachau où deux blocs entiers leur étaient réservés, le 26 et le 28.

La présence de cette grande colonie ecclésiastique était l'un des éléments constitutifs de la vie à Dachau par quoi le camp bavarois se distinguait de tous les autres camps."

Et maintenant retrouvons ce cher Marcel Renaudin lors de son premier jour à Dachau.

Mauvaise journée

"Nous nous sommes réunis sur la place d'appel".

Cette place de taille imposante est un endroit très important du camp car les déportés s'y rendent tous les matins et tous les soirs, quel que soit le temps qu'il fait.

Petit détail... qui a son importance : l'appel durait aussi longtemps que le voulait le bon plaisir des SS... Il avait lieu en silence et concernait tous les valides sans exception.

Pour ne pas y être, il fallait donc être malade ou blessé.

"Le premier jour on a attendu une bonne demi-heure, se souvient Marcel. Puis nous sommes allés prendre une douche avec de l'eau tiède. Nous étions environ une centaine, rien que des nouveaux.

Avant, on s'était mis à poil et un déporté nous avait coupé les cheveux et rasé le reste du corps, même où vous pensez...

C'était, je le répète, le mercredi des cendres 1943 et il faisait un froid de canard...

Une fois que nous avons été secs, les Allemands nous ont aspergés avec du grésil et passé un balais à chiottes sur le corps, y compris dans le trou de balle...

Puis ils nous ont donné de vieilles frusques de militaire, de vieux habits qui étaient confectionnés par des déportés. Pantalon, chemisette, veste.

Ma tenue ressemblait à celle d'un carabinier italien. Mais d'autres avaient des tenues de soldats russes.

Une fois que nous avons été équipés, les Allemands nous ont mis par petits groupes dans une baraque dite de quarantaine."

Une baraque fermée.

Apprendre à obéir

Pendant les trois semaines de quarantaine, Marcel apprend les rudiments d'allemand indispensables pour pouvoir traîner dans le camp. Il apprend aussi par coeur à dire son numéro (64 236) en allemand : vier und sechzig zwei hundert sechs und dreizig ; il apprend aussi à saluer les SS, à marcher convenablement par dix...  Et à tourner la tête...

Il va adopter un comportement qui lui empêchera de recevoir de nombreux coups : obéir bêtement.

"Le but n'était pas de plaire aux Allemands, bien sûr !, c'était de ne pas se faire repérer, de passer le plus inaperçu possible. Il fallait avoir une chance de sortir vivant de cet enfer..."

A la fin de la quarantaine, un type passe prendre ses mensurations. Il va recevoir une tenue qui ressemble à ceux des "collègues". Un pyjama rayé, une tenue bleu-gris avec des rayures.

"L'hiver quand il faisait très froid on avait une grande veste rayée bleu gris qui descendait jusqu'au talon, une sorte de redingote.

Edmond Michelet

"Ils nous ont cousu notre numéro sur la veste en-dessous de notre triangle rouge de déporté politique avec un F au milieu, pour indiquer que nous étions des Français. Puis nous avons été envoyés dans un autre bloc dont je ne me souviens plus du numéro. En revanche, je me souviens que c'était celui de Michelet, un grand type trapu, avec une bonne tête, que tout le monde approuvait d'emblée."

Ce Michelet, c'est le futur ministre du Général De Gaulle, un chrétien que l'Eglise pense à béatifier...

C'est lui qui va expliquer à Renaudin comment vivre à Dachau...

Il lui parle de l'importance du travail, "l'un des moyens pour nous faire disparaître."

Généralement, les déportés étaient affiliés à un kommando, un seul mais certains en changeaient plusieurs fois, comme Marcel.

Et ce pour une raison simple  : il a su se faire des relations qui lui ont permis de changer quand le kommando lui déplaisait souverainement...

Le kommando dit du plantage

Il a commencé dans le jardin des SS à s'occuper du plantage... Le travail se passe dehors, avec l'habit de la veille. Qu'il ait plu ou non...  

Résultat : avant l'été, en mars 1944 exactement, Renaudin attrape une pneumonie double qui sera suivie après d'une bronchopneumonie - double, également.

"J'ai cru ma dernière heure arrivée mais heureusement, la Providence veillait..."

Grâce à Michelet il peut passer dix jours au "revier" (l'infirmerie) : un lit par malade doté d'une alèse et d'une couverture. Le luxe !

Il est soigné par un médecin français. La chance...

Lors de sa sortie, Renaudin va de nouveau être chanceux mais cette fois grâce à un prêtre allemand extraordinaire, le père Whilhem Poïess, qui était... professeur de français !

Il l'a rencontré en causant un jour dans l'une des petites rues entre deux baraques située de la chaque côté de la rue principale. Les deux hommes s'apprécient.

Il lui fait établir un repos d'une dizaine de jours juste après sa sortie du "revier" car Poïess trouve Renaudin en petite forme...

"On n'a pas idée de ce que représentait une telle faveur !, indique Marcel. Un repos de quelques jours à Dachau, cela pouvait suffire à remettre un corps en état de marche ! Bien des détenus n'y eurent jamais droit et périrent de maux souvent bien moins terrifiants sur le papier qu'une double pneumonie !"

Le kommando dit du silo

Cette fois il est envoyé à 800 mètres du camp dans un kommando de silo où le travail est difficile." Nous étions face à de grands, d'immenses tas de betteraves, de carottes et de pommes de terre destinés aux SS et à nous-mêmes. Il fallait trier les saletés et approvisionner cet immense tas de légumes.

Un molosse nous surveillait qui trouvait que nous n'allions jamais assez vite..."

C'est dans ce kommando, en portant un sac, que Marcel a attrapé une hernie dans le bas-ventre. Aïe !

A chaque chose malheur est bon : son chef lui dit qu'il n'est plus en état de travailler dans ce kommando !

Quant à l'hernie, Marcel l'a conservée toute sa vie : il n'a jamais voulu se faire opérer après son retour de captivité !

Chez Messerschmitt

Marcel va ensuite travailler dans une usine à Augsburg, chez le prestigieux constructeur d'avions Messerschmitt, l'inventeur du premier avion à réaction (1938).

C'était moins fatigant que dans les deux précédents kommandos mais infiniment plus dangereux car l'usine était la cible de l'aviation alliée.

On rivait des pièces d'avion, c'était un travail à la chaîne, monotone et pénible.

Il y avait des gardes qui nous surveillaient et si le rivet était mal fait, pan ! on prenait un coup de matraque...

Ce qui était pénible aussi, c'était la surveillance des chiens. Pour aller aux toilettes par exemple.

Point positif de ce travail : une nourriture plus consistante que celle de Dachau...

Au bout d'un mois et demi, Marcel se fait porter malade, grâce à son hernie...

Il se fait envoyer au "revier" d'Augsbourg et demande de rentrer à Dachau pour se faire opérer...

Et, là encore, la Providence.

Le médecin autrichien qui le reçoit est sympathique et parle français. Marcel lui parle alors d'un ami autrichien qui se trouve à Dachau. Il se trouve que cet ami, un certain Von Konrad, était un copain du médecin : "Nous avons été arrêtés ensemble", lui dit-il.

Et hop ! retour à Dachau !

Bien sûr, il n'a aucune envie de se faire opérer mais, sa santé connaissant beaucoup de bas, il va souvent se retrouver au "revier"...

Après moult séances, il se retrouve dans un bloc plutôt pépère et qui faisait des envieux : celui où l'on range les vêtements...

Mais cette planque ne dure pas et Marcel change encore de lieu de travail...

Le kommando dit de la forêt

Pour s'y rendre on prenait le train le matin, on était une dizaine.

"Un kilomètre à effectuer à pied, une fois descendu du train pour nous rendre dans la forêt pour abattre à la hache dix sapins par jour et ensuite couper ces derniers avec une grande scie qui mesurait près de 2 m de long et qu'on devait manier à deux. Près de nous, il y avait toujours un SS et son chien."

La Providence encore : "Nous n'avons pas eu une seule goutte de pluie et, comme il faisait très froid, les SS ne nous em... pas."

Ce qui était agréable, c'était le feu qui servait à brûler les branches inutilisables et à nous réchauffer !

Côté nourriture aussi, Marcel ne se plaint pas : "On avait dix patates si on voulait alors qu'à Dachau c'était deux au maximum."

La bouffe était fournie par le propriétaire du terrain, une armoire à glace allemande qui mesurait environ 1,90 mètres. Ich bin auch katholik, aimait-il à nous dire."

Ce chantier a duré un bon mois, le temps pour Marcel de se refaire une santé.

"Puis, quand le travail a été fini, nous sommes rentrés à Dachau..."

Marcel ignore qu'il va alors connaître les pires moments de son séjour en contractant une maladie meurtrière au possible : le typhus...

A suivre...