Cher JCG vous sachant toujours aussi passionné par votre métier de libraire, j'aimerais que vous nous écriviez régulièrement des petites chroniques mêlant à la fois des anecdotes concernant des clients qui sortent de l'ordinaire et, si possible, des titres d'ouvrages que vous avez en stock. Etes-vous d'accord sur le principe et puis-je compter sur la régularité de votre plume ?
Vous le pouvez, cher Bois-Renard. Du reste, j'ai un petit texte qui devrait correspondre à ce que vous me proposez...
Je me doutais que vous ne me décevriez point dans cette affaire... Et quel titre donneriez-vous à ce petit texte s'il était imprimé dans une revue ?
« Avez-vous des ouvrages de Monsieur Edouard Balladur ? »
Parfait, je vous écoute...
« Tous les commerçants vous le diront : quand un inconnu entre dans leur boutique ils ne peuvent prévoir s'il en sortira avec le titre de « nouveau client »… Et ce même en étudiant avec la plus vive attention sa mise, son visage, sa façon de s'exprimer, de prendre tels livres de son choix, de les ouvrir et de les ranger une fois les avoir feuilletés…
Débarque un jour que j'étais seul un homme d'une soixantaine d'années et d'un bon mètre quatre-vingt dont le visage ressemblait à s'y méprendre à celui du franc-maçon Alain Bauer : même crâne dégarni, même petite moustache des années trente, même regard tristounet...
Serait-ce le jumeau de ce « criminologue » ayant son rond-de-serviette dans les merdias qui, depuis tant d'années, inoculent une pensée mondialiste (Hillard), arc-en-ciel (Peltier) ou cosmopolite (Lesquen) à nos contemporains les plus crédules ?
Serait-ce l'un de ses cousins à la mode de Bretagne ?
Serait-ce aussi un adepte du tablier en peau de porc qui parlerait avec autant de franchise du pouvoir de ses pairs que le Bauer précité : « Ce qui est étudié en loge le lundi devient une proposition de loi le vendredi et une loi la semaine suivante, le processus est extrêmement rapide car tout est linéaire.»
Va-t-il me demander un ouvrage sur les rose-croix ou sur les Illuminati ? L'un des livres du maçon repenti Serge Abad-Gallardo ou Le siècle des Ténèbres d'Alain Pascal ?
Que nenni ! Il n'évoquera que des hommes politiques - mais - attention ! - pas des perdreaux de l'année comme ceux qui garnissent si médiocrement l'assemblée nationale et les gouvernements formés depuis les dernières législatives de juillet 2024.
Sa première question m'avait sidéré : « Avez-vous des ouvrages de Monsieur Edouard Balladur ? »
Elle m'est revenue quinze jours après son passage, alors que je lisais avec un intérêt soutenu les Mémoires identitaires d'un ancien élu du Front national qu'on ne présente plus dans « nos milieux » : Jean-Yves Le Gallou. Pourquoi évoquer cet ouvrage édité récemment par Via Romana ?
Parce que Balladur y a droit à des lignes que mon visiteur aurait sans doute appréciées.
(J'indique, pour mes lecteurs qui l'ignoreraient ou l'auraient oublié, que Balladur, après les législatives de 1993 remportées par « la droite » de l'époque, avait été chargé par son chef de parti (le RPR) et ami de trente ans Jacques Chirac, d'aller à Matignon pour que ce dernier se préparât efficacement à la grande élection qu'il avait perdue en 1981 et 1988.)
Si Le Gallou n'a jamais cru que cet homme « toujours tiré à quatre épingles et portant des chaussettes de cardinal » pût redresser la France, il considère néanmoins (avec le recul du temps) que l'ancien premier ministre, « mi-suffisance courtoise et mi-étrangleur ottoman, « a fait partie – comme Barre – des rares hommes politiques un peu sérieux des décennies 1970-2021». Et que, comme l'ancien premier ministre de Giscard (1976-1981), « il fit l'expérience de la loi d'airain des médias : léchage, lâchage, lynchage »,
Les Mémoires identitaires de Le Gallou étant sous presse quand le sosie de Bauer s'est pointé, je me suis contenté d'une réponse passe-partout : «Nous n'avons point d'ouvrages de Balladur en stock, cher monsieur, mais pouvons en commander dès ce jour, si tel est votre bon vouloir….»
Cette proposition le laissa de glace et il embraya tout de go sur Macron, qu'il souhaite voir - j'espère que vous êtes assis !- accomplir un troisième mandat.
Hein, quoi ! Macron rempiler en 2032 ? L'horreur !
Je lui ai alors conseillé d'écrire sans tarder une belle lettre à son président chéri pour lui confier ce désir qui, d'après ce que j'entends un peu partout, n'est pas celui d'une majorité de Français.
J'eus droit ensuite à des compliments concernant Jean-Pierre Raffarin qui se fit connaître avec des formules suscitant l'hilarité des humoristes et autres chansonniers de son temps. « La route est droite mais la pente est forte », entre autres.
Ayant aperçu son Mémoricide sur la table centrale, il est ensuite passé à Villiers pour le complimenter. Cette fois je me suis dis qu'une vente était possible, qu'on allait enfin passer aux choses sérieuses…
Là encore, si j'avais lu les Mémoires intérieurs j'aurais pu mettre mon faux Bauer en appétit et transformer l'essai.
Car Le Gallou, qui pestait jadis contre « la concurrence électorale » du Vendéen, lui reprochant d'avoir « [fait] régresser le FN aux européennes de 1994, stagner Le Pen à la présidentielle de 1995 et [mis] en échec Mégret aux européennes de 1999»), Le Gallou en dit aujourd'hui le plus grand bien. Un revirement qui date de la découverte du Vicomte en 2021, quand ils soutinrent tous deux Zemmour qui lorgnait l'Elysée…
Causes de ce revirement ? Le « souverainisme du Vendéen (« profondément enraciné contrairement à celui de Chevènement), « ses convictions, ses analyses, son expérience et son goût de la formule » (incomparablement plus consistant que celui de Raffarin). Et, surtout, surtout, « sa grande œuvre : le parc du Puy du Fou » que Le Gallou a découvert en 2023 « en y passant deux jours complets avec quatre de [ses] petits enfants…»
Hélas, même si j'avais tenu ce genre de propos, je n'aurais pu vendre Mémoricides au grand escogriffe qui finit par m'avouer sitôt le nom de Villiers cité : il était à la recherche d'un emploi et, comme des millions de Français, manquait d'argent pour acheter des livres en général et des livres neufs en particulier.
Comme quoi, on peut avoir la tignasse de Bauer, la moustache de Bauer et le regard triste de Bauer sans pour autant bénéficier d'une situation sociale comparable à celle de Bauer et susceptible de permettre à Duquesne Diffusion de tourner. »
Je vous remercie cher JCG et vous dis : A très bientôt ! Sans doute dans le même registre duquesnois...
J'évoquerai soit une nouvelle anecdote concernant mon métier soit l'ouvrage de Le Gallou que j'ai lu sans jamais bayer une seule fois...